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Crise du Covid-19 : l’industrie automobile est-elle capable de se remettre en cause ?

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La crise sanitaire que nous traversons est partie de Wuhan, bastion d’une industrie automobile chinoise qui s’est développée en quelques années à un rythme effréné et où sont fortement présents les constructeurs et équipementiers français. Sans insister sur le caractère inédit de cet évènement, rappelons qu’il intervient à un moment où le repli des marchés comme de la production était attendu, notamment en Europe, avec déjà des craintes de crise dans le secteur.
À l’heure où l’industrie automobile redémarre progressivement, la crise  du  Covid-19 peut jouer comme un accélérateur des difficultés tout comme être un catalyseur de changements. Avec une question de fond : l’industrie automobile sera-t-elle capable de changer ?

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Cette crise est évidemment une source de fragilisation et, conjuguée au tournant déjà pris par le secteur, elle laissera des traces au-delà de 2020. Mais elle ouvre aussi la porte à de réels changements : moins de déplacements, relocalisation des sources d’approvisionnement, nouvelles pratiques partenariales, gestion émancipée vis-à-vis des critères financiers, etc. Évidemment, cela signifie renoncer aux stratégies actuelles, centrées sur les volumes et la baisse des coûts : les directions et les actionnaires sont-ils mûrs pour piloter autrement ?

D’ici à l’automne, nous resterons attentifs aux évolutions en cours, avec un risque accru de défaillances financières durant l’été et de plans de restructurations à la rentrée de septembre. Et nous continuerons de vous accompagner et de prendre en compte vos témoignages.

CONDITIONS DE LA REPRISE

Quel sera le rythme de la reprise en France dans les prochains mois ?
Un scénario de reprise en V, effaçant dès 2021 les effets de la crise actuelle, semble peu probable. Le rebond sera progressif et probablement peu musclé. Il est encore difficile d’avoir des prévisions fiables, d’autant que l’équation est à deux inconnues : quelle capacité de reprise de la production (l’offre) et quel rebond du côté des marchés (la demande) ?

PRODUCTION

La reprise de la production ne sera que progressive, en raison des incertitudes du marché et des stocks actuels dans les concessions (400 kV en France). Elle dépendra également des multiples perturbations dans l’approvisionnement des  pièces, empruntant  des circuits internationaux qui ne font qu’accroître les difficultés de maîtrise de cette chaîne logistique. Les taux d’utilisation des capacités doivent aussi composer avec les consignes sanitaires et les mesures de protection des salariés qui doivent être discutées avec les partenaires sociaux.

MARCHÉS

Les ventes de véhicules neufs souffriront de la perte de pouvoir d’achat d’une partie des particuliers, mais aussi des reports d’investissements des entreprises comme des loueurs. En France sur les 4 premiers mois, les immatriculations ont été divisées par 2 par rapport à 2019, et elles ont été quasi-nulles en avril. Tous les acteurs de la filière appellent le gouvernement à adopter un plan de relance de la consommation parallèlement aux mesures de soutien aux entreprises. Si celui-ci privilégie les véhicules électrifiés, il pourrait aussi apporter une aide ponctuelle sur les véhicules thermiques (les mêmes options sont à l’étude dans les autres pays européens).

Le marché de l'occasion reculerait aussi, mais nettement moins, ce qui renforcera la polarisation du marché entre un marché de l’occasion à forte composante diesel et un marché du neuf plus électrifié en milieu urbain, où les véhicules diesel et âgés subissent des restrictions de circulation.

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DURÉE ET PROFONDEUR DE LA CRISE

Après la crise sanitaire, la crise économique

Dans la période période de gel de l’activité et des ventes, les entreprises ont consommé beaucoup de cash, mais elles ont été aidées par l’État. Notre veille sur la filière nous amène à craindre désormais la phase de relance, durant laquelle des petits groupes déjà fragilisés pourraient courir un risque plus grand de faillite. Risque-t-on de voir, comme en 2009, de nombreuses fermetures, mais aussi des reprises par des acteurs plus ou moins sérieux… éventuellement par des investisseurs étrangers disposant de liquidités et d’une stratégie mondiale ? Cette situation ouvre la porte à une restructuration de la filière, que les constructeurs et les principaux équipementiers arbitreront encore une fois en fonction de leurs propres critères stratégiques. Rappelons que PSA et Renault ont pu bénéficier de soutiens publics lorsqu’ils ont été en difficulté. D’autres entreprises pourraient démontrer la même capacité de résilience. Quelle  transparence  dans les choix de soutien ou non, notamment vis-à-vis des salariés et leurs représentants ? Quel accompagnement proposé pour chercher des solutions de rebond vers d’autres secteurs, organiser les diversifications et transitions, et ne pas perdre les compétences collectives de ces entreprises ?

CHANGEMENT DE PILOTAGE

Vers une émancipation face aux indicateurs financiers et boursiers ?

Les investisseurs financiers boudaient déjà le secteur automobile, malgré les importants dividendes versés en 2019 et les annonces de plans d’économies renforcés (Ford ou Renault). La chute des cours de bourse, amorcée depuis 2018, s’accélère début 2020,
ce qui pourrait favoriser des concentrations inamicales chez les équipementiers. Les  entreprises parviendront-elles à échapper au diktat financier et boursier, dans ce contexte totalement inédit ? Elles en ont potentiellement les moyens : les résultats engrangés ces dernières années ont permis de consolider les capitaux propres. Peu endettées, elles peuvent emprunter, et les États (notamment français) sont prêts à les soutenir. L’absence de versement de dividendes en 2020 serait un signe d’indépendance vis-à-vis de la communauté financière, et/ou de sa prise de responsabilité en prévision de la crise économique qui se profile. Nombre de groupes ont annoncé qu’ils les réduiraient mais sans totalement les supprimer.

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CHANGEMENT DE COMPORTEMENT

Une opportunité de nouvelles régulations dans la filière ?

Même si certaines entreprises ont continué de travailler pour répondre aux commandes de clients à l’étranger, la responsabilité des constructeurs français est majeure dans cette phase de redémarrage : préciser les périodes et les cadences de reprise ; se coordonner entre les différents niveaux de la filière pour réamorcer une chaîne de flux synchrones… et ne pas brandir la menace de sanctions au premier incident de livraison. Selon les premiers échos que nous avons, s’ils jouent visiblement le jeu dans le paiement des fournisseurs, les constructeurs se préoccupent surtout de suivre leur exposition au risque, plus que de contribuer à le limiter, renvoyant aux pouvoirs publics la prise en charge d’avances de trésorerie pour les sous-traitants (500 M€ selon une première estimation).

La crise offre une occasion particulière de repenser la régulation du secteur, en mobilisant les pouvoirs publics et les organisations syndicales. Mettre en place des démarches partenariales (qui ont contribué à structurer les filières japonaises ou allemandes) est une des conditions à la relocalisation des activités, que beaucoup appelaient déjà de leurs vœux avant la crise du Covid-19. Ces perspectives rejoignent des déclarations faites au Comité stratégique de filière, mais il faudra être vigilant sur le passage de la parole aux actes. D’autant que le patronat insiste déjà pour conditionner une relocalisation à la diminution du coût du travail, plutôt que d’aborder la compétitivité sous l’angle de l’industrie du futur et de la formation à de nouvelles compétences.

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