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Plan de soutien à l’aéronautique : le point de vue de nos experts (interview)

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Début juin, le gouvernement débloquait 14 milliards d’euros pour venir en aide à la filière aéronautique (transport et industriel), l’une des plus durement touchées par la crise du Covid-19. A peine un mois plus tard, Airbus annonce la suppression de 15 000 postes dans le monde, dont 5 000 en France. Nos experts de l’aéronautique Charlotte Moennard et Arnaud Negri vous donnent leurs points de vue sur ce plan et abordent le rôle des IRP (retrouvez la note de conjoncture en fin d'article).

jet sur le tarmac

 

1. En quoi consiste le plan du gouvernement ?

Charlotte Moennard - Nous retenons les 3 objectifs suivants :

  • soutenir les emplois par la commande aussi bien publique (ministère des Armées) que privée, avec un soutien massif aux compagnies aériennes : 10 des 14 Md€ les concernent directement ! Les mesures d’activité partielle longue durée, non spécifiques au secteur, sont prévues pour amortir le choc et limiter au maximum les suppressions d’emplois ;
  • améliorer la productivité en accélérant la transformation déjà engagée de la filière : numérisation et consolidation ;
  • engager l’aéronautique dans la transition énergétique vers l’avion neutre en carbone, en accélérant les développements par rapport à ce que l’industrie prévoyait avant crise.

Le plan de relance annoncé par la Commission européenne (750 Md€) pourrait également bénéficier à la filière aéronautique : cela passera par des mécanismes d’assurance-crédit export ? des fonds structurels d’investissement en capital et/ou en R&T/D* ? Nous avons peu de visibilité à ce jour.  

Enfin, les régions déploient également un certain nombre de mesures. A titre d’illustration, l’Occitanie, une des régions les plus “aéro-dépendantes”, a annoncé un nouveau plan  exceptionnel de 100 M€.  

* R&T : recherche et technologie. Cela désigne les travaux d’études et de recherche en amont de la R&D (recherche et développement). 

2. Quelles sont les limites que vous y voyez ?  

Arnaud Negri - Avant même la crise, l’aéronautique connaissait déjà quelques difficultés : pression sur les fournisseurs, délocalisations, restructuration à marche forcée du tissu industriel, déboires de Boeing. Si le soutien aux compagnies aériennes est relativement rapide et d’ampleur, le soutien direct à la filière est moindre et plus étalé dans le temps : il risque donc d’être insuffisant.

Concernant l’effort supplémentaire injecté pour la R&T, cela nous paraît relever de l’effet d’annonce, avec une réalité à nuancer : l’État n’injecte “que” 792 M€ nouveaux (et non 1,5 Md€), alors que des ruptures technologiques majeures restent à dépasser pour les acteurs industriels.    

Nous nous interrogeons également sur l’efficacité des fonds dédiés à la sauvegarde des entreprises et à leur modernisation, notamment en termes d’impact sur l’emploi. Par exemple, la consolidation des fournisseurs sécurise surtout les donneurs d’ordre, mais des restructurations sont susceptibles d’être engagées pour supprimer d’éventuels doublons de postes ! Autre exemple : l’accélération des projets d’usine du futur ne risque-t-elle pas de se traduire par encore moins d’emplois en sortie de crise ?

Charlotte Moennard - Ce plan nous laisse sur notre faim : aucune contrepartie impérative ne s’impose aux bénéficiaires des aides, alors qu’il s’agit essentiellement des grands donneurs d’ordre ! La filière a déjà signé des chartes qui sont restées lettres mortes, les donneurs d’ordres cherchant à maximiser leurs résultats en faisant pression sur les prix au détriment du socle d’emplois et de compétences.

Globalement, le soutien de la puissance publique (c’est-à-dire de nous tous) à travers l’activité partielle, y compris sur longue durée, est indéniable... mais les entreprises de la filière aéronautique ne s’en saisissent pas, comme en témoigne la succession d’annonces de plans sociaux et d’accords rognant sur les conditions de travail et de rémunération. La “deuxième vague” est déjà une réalité pour la filière aéronautique, qui fait face à un tsunami de restructurations. Pour les territoires et les compétences longues à acquérir, le choc est donc extrêmement violent.

3. Quelle action possible pour les représentants des salariés, dans les entreprises mais aussi au niveau territorial ?

Arnaud Negri - L’aéronautique en France représente aujourd’hui 300 000 emplois directs, dont les deux tiers dans des PME/I et ETI sous-traitants des donneurs d’ordre. Nous estimons que l’État aurait pu imposer des contreparties à son soutien, par exemple en matière de RSE (responsabilité sociale des entreprises) et de partage des efforts. Nous regrettons que les représentants des salariés n’aient pas été associés à l’élaboration du plan, alors qu’ils sont particulièrement bien placés pour une bonne prise en compte des problématiques d’emplois et de compétences. Mais il n’est pas trop tard pour les associer à la mise en œuvre de ce plan, au plan national, régional et dans les entreprises !  

Au sein de celles-ci, les élus ont tout intérêt à interroger leur direction sur l’éligibilité aux aides, et plus globalement sur l’ensemble des conséquences de la crise sur la situation économique, financière et sociales de l’entreprise. En effet, malgré ce plan d’aides, nous constatons d’ores et déjà une vague massive de restructurations (PSE, ruptures conventionnelles collectives, accords de performance collective...), amplifiée par le plan Airbus. Une rapide règle de trois : Airbus produit environ 25 % d’un avion et annonce 5 000 suppressions de postes. Donc une prévision de 20 000 à 25 000 postes supprimés au sein de la filière nous paraît malheureusement crédible.  

Charlotte Moennard - Le rôle des IRP dans cette période sera donc primordial, afin de veiller à l’intérêt de tous les salariés de la filière. La préservation des compétences doit être un point d’attention, car cela sera essentiel pour la capacité de rebond et l’avenir de l’aéronautique. Une adaptation structurelle et brutale du niveau d’emploi en réponse à un choc, certes énorme mais conjoncturel, pourrait se révéler contre-productive.    

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