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Comment comprendre la brutale hausse des prix de l’électricité ?

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Jusqu'où vont bien pouvoir grimper les prix de l'électricité  ? Répondre à cette question serait bien hasardeux.... en revanche il est possible d'identifier les causes de cette envolée des prix depuis mi 2021. Et de mesurer à quel point le fonctionnement du marché européen... est dans une impasse.

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Une « tempête parfaite »

Les systèmes électriques se pilotent comme d’immenses paquebots, et quand l’iceberg est en vue, il est déjà trop tard. Or, voilà que le marché européen de l’électricité traverse ce que l’on pourrait appeler une tempête parfaite : congruence d’évènements violents en eux-mêmes, mais qui par ailleurs révèlent la fragilité du navire : celui-ci est secoué parce que le vent est fort, mais peut-être aussi parce que la quille a été perdue. Autrement dit, il s’agira de ne pas seulement se concentrer sur le déchaînement des éléments, mais aussi sur l’état du bateau - car c’est peut-être par défaut de conception que celui-ci tangue dangereusement.

Mais commençons par considérer les cumulo-nimbus qui se sont accumulés au-dessus de l’Europe dès l’automne 2021, ceux-ci ayant pris diverses formes :  

  •     Paradoxalement, celle d’un doux anticyclone, positionné de telle manière au cours de l’hiver 2021/2022 qu’il a privé l’Europe de vent et d’un franc soleil - et donc d’électricité « renouvelable ».  
  •     Celle de réacteurs nucléaires français à l’arrêt - soit comme conséquence de la covid (opérations de maintenance décalées), soit comme conséquence du vieillissement des centrales (qui génèrent des besoins accrus en maintenance) - avec dans certains cas des conséquences inattendues (corrosions à reprendre d’urgence)  
  •     Celle enfin d’une envolée des cours du gaz depuis 2021, que la guerre russo-ukrainienne a ensuite emporté vers des sommets.  

On remarquera au passage que toutes les sources d’électricité ont montré leurs faiblesses.

En première analyse le système électrique n’a pourtant pas « craqué » l’hiver dernier : aucun “black-out” significatif n’a été observé. L’iceberg a en réalité pris la forme d’un prix de marché sur lequel toute l’industrie continentale vient désormais s’encastrer.  

Quels que soient les indicateurs que l’on considère, l’augmentation est en effet invraisemblable : une multiplication par environ 10 des prix de gros (au jour le jour et à terme) et une variabilité considérable. Quant aux prix de détails, payés par les PME-ETI et incluant le coût du transport et des taxes, les contractualisations en cours de renégociation aboutissent à des multiplications variant de x2 à x6, pour une moyenne autour de x4 pour les PME.

Pourtant, si l’on considère l’évolution des coûts de production des centrales électriques françaises, celle-ci reste très mesurée : les coûts sont essentiellement fixes ou quasi-fixes (investissements et maintenance) dans le nucléaire et les ENR, qui composent l’essentiel du mix national. C’est d’ailleurs cette divergence entre coûts et prix qui rend possible les « super-profits » des acteurs de la production énergétique européenne.

Comment, dès lors, comprendre cet écart entre la dynamique des coûts et celle des prix ? Comment comprendre aussi que les mêmes prix s’appliquent en France et dans les autres pays, alors que le gaz représente la portion congrue du mix électrique français ?  

Il faut pour cela assimiler le fonctionnement du marché européen de l’électricité – une gageure, tant l’écosystème dans lequel il s’inscrit est complexe, touffu, imbriqué. Retenons pour simplifier que l’organisation mise en place pour ce marché aboutit à la formation d’un prix « spot » (heure par heure) pour chaque plaque géographique trans-nationale, sur le principe suivant : le prix de toute l’électricité s’aligne sur la centrale la plus chère qu’il est nécessaire d’allumer à l’instant t - ne serait-ce que pour couvrir un millième de la charge appelée. Les 999 autres, qui peuvent pourtant coûter 20 fois moins cher à produire, s’alignent tous sur elle. Ceci se concrétise en une réalité simple : dès que le nucléaire et les ENRi, peu chers, flanchent, le prix de toute l’électricité s’aligne sur celui du gaz ou du charbon… et les super-profits s’envolent.

Déficit de pilotabilité, gaz hors de prix et baroques mécanismes de marché européens : la recette d’une catastrophe

Ces éléments en tête, nous pouvons désormais observer ce qu’il s’est passé au cours des derniers mois, sur le front de la production française. Le problème ne semble pas venir, a priori, de la base installée, les capacités installées ayant significativement augmenté sur moyenne période ; on note simplement une hausse des capacités intermittentes et un léger recul des pilotables (fermeture de Fessenheim, soit 1600 MW, auxquels s’ajoutent 1600 MW fermés sur les « fossiles »)….

Par contre, si l’on considère la production à mettre en regard des capacités installées, on constate que celle-ci chute en dépit de la hausse des capacités. Alors que les capacités installées ont augmenté de 18% (dont +90% sur les ENRi) entre 2015 et 2021, la production française a chuté de 5% sur la période, soit -25 Twh, dont un recul de 55 Twh sur le nucléaire (pour donner un ordre de grandeur, Fessenheim représentait une douzaine de Twh/an). Et les choses se sont encore aggravées en 2022 : toujours moins de production nucléaire et ENR (vents capricieux, barrages asséchés…). Le déficit de disponibilité de ces facteurs décarbonés et peu chers induits plus de mobilisation des « fossiles » et plus d’importations, à des prix dépassant fréquemment les 1000 €/MWh (contre une cinquantaine habituellement) et dans les limites des capacités physiques des interconnexions.

Cette sollicitation du gaz ou du charbon européen semblerait logique pour les heures de pointe hivernales, mais une analyse statistique fine met en évidence le problème fondamental cette année : même en dehors de ces heures de forte demande, le prix spot français reste durablement réhaussé car il n’est plus tant corrélé avec les appels de charge qu’avec la disponibilité des facteurs - d’autant plus imprévisible que, désormais, le nucléaire français se comporte, en somme, comme une ENRi (arrêts de tranche non prévus).

Une seule solution pour éviter le pire, le retour vers le futur ?

Les conséquences de cette crise sont déjà innombrables :  

  •     Faillite ou quasi-faillite de fournisseurs d’électricité (notamment ceux qui ne produisent pas ou très peu et se servent sur les marchés pour fournir des clients à tarif fixe) ;  
  •     Super-profits pour les producteurs d’électricité de toutes natures (à l’exception notable d’EDF, à qui l’Etat a demandé de contribuer à sauver la mise à tout le pays, au prix d’un effondrement de sa structure financière, déjà mal en point) ;  
  •     Graves difficultés pour l’industrie française, (et l’économie en général ?) en particulier les électro-intensifs dont la compétitivité se dégrade rapidement (risque de délocalisations à terme).

Face à cet état de fait, la France et l’Europe ont mis en œuvre des mesures « pansements » (bouclier tarifaire, Arenh+, captation de revenu quand le prix de l’électricité dépasse 180€, etc.). Ces mesures sont toutefois incapables de ramener le calme sur les prix de gros. Or, il n’existe pas de consensus suffisant au niveau européen jusqu’à présent pour s’attaquer aux problèmes de fond, à savoir : le prix du gaz, et les mécanismes du marché intégré du gaz et de de l’électricité. L’Espagne et le Portugal ont pourtant ouvert une voie, en sortant du marché intégré et en plafonnant le prix du gaz pour la production électrique (l’Etat prenant en charge le surcoût au-dessus du plafond) : les prix ont chuté largement en-dessous de ceux de la France - et le coût pour l’Etat est moins élevé que celui de l’Arenh et du bouclier tarifaire (qui consistent à remplir avec une cuillère un tonneau que l’on vide avec un seau). Conséquemment, chaque semaine qui passera, dans les prochains mois, sur ce front, verra la compétitivité de l’industrie européenne plus gravement mise à mal. Une solution plus efficace encore serait toutefois le voyage dans le temps : car la crise actuelle est la résultante de décisions, ou d’absence de décisions, dans les dernières décennies. L’iceberg est en vue, mais le cap a été fixé il y a deux décennies, et personne n’a touché la barre depuis. 

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