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« Objectif zéro émission nette en 2050 » pour l’énergie : que dit le rapport de l’AIE ?

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Le 18 mai dernier, l'Agence Internationale de l'Énergie (AIE) a publié un rapport « Objectif zéro émission nette pour 2050 ». Que dit ce rapport ? À la veille de la COP 26 à Glasgow, quels en sont les enjeux ? Décryptage par nos experts.

Net Zero by 2050 report cover

COP #26 2021 : l'AIE sonne l'alarme

L’accord de Paris sur le climat, signé en 2015, visait un réchauffement maximal de 2° à horizon 2100 (vs 1990). En 2020 le réchauffement dans le monde était déjà de 1,2° par rapport à 1990 et nous sommes sur une trajectoire de 2,7°C à horizon 2100, et le réchauffement est imputé pour une large partie aux émissions de gaz à effet de serre – GES, principalement le dioxyde de carbone – CO2 – et au méthane – CH4.

Directement ou indirectement, l’énergie est responsable de près de 3⁄4 des émissions de GES dans le monde. Et les projections actuelles d’évolution des mix énergétiques sont très loin d’atteindre l’objectif.

Bien après l’énergie, l’agriculture et la déforestation génèrent 18% des GES dans le monde

Émissions par secteurs
Source : https://ourworldindata.org/ghg-emissions-by-sector

À la demande de la présidence britannique de la COP #26, et en amont de cette nouvelle « Conférence des Parties » l’AIE a publié, en mai 2021, un scénario « zéro émission nette » pensé comme une feuille de route énergétique globale

S’appuyant sur les outils, banques de données et l’expertise inégalés de l’AIE en matière de modélisation énergétique, ce rapport de l’AIE est la première feuille de route énergétique globale au monde pour atteindre le zéro carbone net d’ici 2050. 

Ce scénario est établi dans l’objectif de contenir le réchauffement à 1,5°C à horizon 2100, avec une probabilité de 50%, une cible plus ambitieuse que l’accord de Paris.

Tous les secteurs d'activités doivent repenser leurs usages de l'énergie

La feuille de route « ZEN 2050 » aboutit à une demande énergétique globale en 2050 inférieure de 7 % par rapport à aujourd’hui, pendant que la population croîtrait de 2 milliards de personnes, passant de 7,75 à 9,69 milliards d’habitants entre 2020 et 2050.

Elle intègre en outre un accès universel à l’énergie avec en particulier l’accès à l’électricité de 785 millions de foyers aujourd’hui non reliés

Des mesures d’efficacité énergétique et des mesures de transformation des mix, en privilégiant les sources les plus faiblement émettrices de GES, sont les points clés des scénarios, qui concernent tous les secteurs contributeurs à la consommation d'énergie et donc à l'émission de gaz à effet de serre : le transport, l'industrie, le bâtiment, et bien évidemment la production d’énergie.

Il s’agit en particulier d’améliorer de 4% par an l’efficacité énergétique... soit 3 fois la moyenne des 2 dernières décennies... Et de soutenir une électrification massive des usages, via un développement de la production d’électricité décarbonée et fortement renouvelable... ce qui implique, d’ici 2030, la multiplication par 4,2 des capacités éoliennes installées, par 6,7 des capacités solaires, ainsi que le quasi doublement des capacités nucléaires.

De 20% aujourd’hui, l’électricité représenterait 49% de la consommation d’énergie finale en 2050, pendant que le pétrole pèserait pour 12% (37% aujourd’hui) le gaz naturel 6% (16% aujourd’hui) le charbon passant de 12 à 3%. L’hydrogène et les biocarburants, quasi inexistants aujourd’hui, représenteraient respectivement 6% et 4% de la consommation d’énergie finale en 2050.

Les moyens mobilisés sont pour l'instant très en deçà des besoins...

L’AIE évalue donc que le niveau annuel des investissements doit être porté de 2 000 à 5 000 Md$ jusqu'en 2030. L’agence invite dans les 10 prochaines années à asseoir la transformation en prenant appui sur des technologies d'ores et déjà maîtrisées.

Des questions importantes se posent néanmoins, d’acceptabilité et de disponibilité de ressources, notamment.

Au-delà de 2030, les attentes en direction de technologies nouvelles sont considérables :

  • Batteries avancées, avec des questions qui se posent en matière de disponibilité de composants et de recyclabilité
  • Hydrogène vert, dont le modèle économique reste à trouver
  • Capture et stockage du CO2, technologie certes existante, mais peu répandue... et contestée. Le scénario ZEN 2050 table sur 7 600 Mt CO2 capturés (vs 40 aujourd’hui)
  • Le secteur de l’aviation semble plutôt préservé, puisque l’AIE table en 2050 sur un quasi doublement du trafic par rapport à 2019, dernière année « normale ». Pour autant des efforts sont attendus en termes de développement de « SAF - sustainable aviation fuels », étant entendu que les futurs carburants posent eux aussi la question des ressources disponibles, et ne doivent pas entrer en concurrence avec l’alimentation

Condition supplémentaire de réussite posée par l’AIE : des changements de comportements individuels seront indispensables en particulier pour ce qui concerne l’utilisation des moyens de transport, avec une priorité à donner aux mobilités douces et au train. L’autre évolution majeure des comportements individuels tiendra dans un moindre recours au chauffage et à la climatisation.

L’ensemble de ces conditions trace donc selon le patron de l’AIE un chemin « étroit mais faisable », à condition que se conjuguent des décisions radicales, des changements de comportements et, d’ici 2030, des avancées technologiques... elles-mêmes conditionnées par des investissements massifs, dès à présent, en recherche et développement.

...Et la faisabilité de cette feuille de route va nécessiter un engagement concret sans précédent des décideurs politiques et économiques

La transition énergétique implique donc une refonte au moins partielle du système, et des ruptures radicales sont incontournables selon l’AIE : énergétiques, technologiques, sociales, sociétales...

Si la sobriété, l’efficacité énergétique, et la montée en puissance des énergies renouvelables sont les piliers de la feuille de route ZEN 2050, l’Agence ne remet pas en question l’ambition de croissance du PIB : elle mise sur une baisse de l’intensité carbone de l’économie tout en tablant sur des évolutions technologiques encore hypothétiques.

  • Ces points sont particulièrement pointés par les ONG, qui invitent à établir des scénarios exclusivement basés sur les technologies aujourd’hui disponibles, et invitent à renforcer significativement les efforts en matière de sobriété
  • Par ailleurs le scénario repose sur un niveau élevé de capture de CO2 (CCS) selon des techniques certes éprouvées à petite échelle, mais dont le déploiement à très grande échelle pose de nombreuses questions

L’agence estime que ces transformations s’accompagneront de la création nette de 14 millions d’emplois... Avec cependant des changements de localisations et de métiers à envisager. Ce point reste à approfondir, tout comme celui de la répartition régionale fine des efforts de décarbonation des mix, très peu abordé dans le rapport.

Ces sujets seront sans doute à l’ordre du jour de la COP #26 de Glasgow en novembre 2021, qui devra être celle de la matérialisation de l’accord de Paris. Seront en particulier à l’agenda la mobilisation des 100 Md$ annuels pour le financement de la lutte contre le changement climatique dans les pays en développement, et les engagements concrets des pays en matière de réduction des GES (NDC : nationally determined contributions)

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