Expertise pour risque grave : retour d’expérience d’une élue de CSE et de son expert
Afficher l'article en plein écranRégine, élue CSE, et Sylvain, expert Syndex, racontent comment une expertise pour risque grave a permis d’objectiver une situation de souffrance au travail et d’aboutir à un plan d’action concret avec la direction. Une démarche qui montre l’importance d’un regard externe pour libérer la parole et faire avancer la prévention des RPS.
> Bonjour, pouvez-vous vous présenter ?
Régine HEBERT (R.H) : Bonjour, je m’appelle Régine, je travaille dans une filiale du secteur bancaire depuis 1986. J’ai un mandat d’élue CSE depuis plus de 20 ans. Depuis 15 ans j’occupe ce poste à plein temps comme déléguée syndicale, trésorière et secrétaire générale de mon syndicat. J’ai donc pas mal d’expérience et une connaissance juridique qui me permet de bien savoir ce qu’on peut faire.
Sylvain GIRARD (S.G) : Bonjour, moi, c’est Sylvain, expert SSCT depuis 16 ans à Syndex.
> Dans quel cadre le CSE a-t-il fait appel à Syndex ? Quels étaient vos besoins ?
R.H : Tout est parti du signalement d’une salariée exprimant sa souffrance au travail. Le CSE a déclenché un droit d’alerte et, rapidement, d’autres membres du même service ont confirmé l’existence de difficultés similaires. Il devenait nécessaire d’agir, mais nous ne disposions pas des compétences suffisantes pour aller plus loin seuls.
Face à la souffrance au travail, la direction adopte souvent une posture de déni. C’est là que l’intervention d’experts devient indispensable pour objectiver les situations et proposer des pistes d’amélioration. Nous avons donc lancé une expertise pour risque grave dans une direction où le management posait problème. Le management dans cette direction générait des tensions, de la compétition, des jalousies… Le climat était délétère.
Le CSE avait réalisé un pré-diagnostic, mais sans pouvoir proposer de solutions concrètes. L’expertise a permis de révéler des dysfonctionnements que nous n’avions pas identifiés, et a ouvert la voie à une prise en charge plus globale.
S.G : Lancer une expertise pour risque grave est une démarche délicate. Pour l’employeur, ça peut être perçu comme un affront, une remise en cause, d’autant plus qu’il ne l’a pas choisi, ce tiers qui intervient, et qui va regarder là où ça fait mal. Pour éviter toute contestation, il est crucial de constituer un dossier solide en amont.
Dans notre cas, le droit d’alerte a été déclenché par le CSE, d’autres éléments sont ensuite venus étayer la situation. C’est cet ensemble qui a permis au CSE de voter une délibération pour mandater Syndex.
Sans ce droit d’alerte, l’expertise n’aurait pas été envisageable : il faut que le risque soit avéré. La difficulté, c’est que le CSE n’avait que des retours informels, peu de témoignages écrits. Le droit d’alerte a permis de transformer un cas individuel en problématique collective.
> Comment s’est déroulée l’expertise ?
S.G : Nous avons pu accéder librement au terrain et rencontrer les salariés, sans opposition de la direction. J’ai même eu l’impression qu’elle souhaitait un regard externe pour avancer sur le sujet.
La mission a débuté par une réunion de lancement associant le CSE et l’employeur, suivie de l’envoi de la lettre de mission. Nous avons ensuite planifié les investigations, mené les entretiens, puis rédigé un diagnostic que nous avons présenté à toutes les parties.
Tout au long de l’expertise, nous avons organisé des points réguliers avec Régine et Laurent du CSE pour partager les avancées et les obstacles. Le CSE, grâce à sa connaissance historique, nous a apporté des éclairages précieux sur des problématiques parfois difficiles à cerner. Nous nous sommes appuyés sur ces éléments pour cibler nos investigations et être plus fins dans notre compréhension de la situation. Le travail d’enquête a permis de confronter des hypothèses à la réalité du terrain.
Ce dialogue avec le CSE, mais aussi avec l’employeur, à l’occasion de points d’étape, nous a permis de construire un diagnostic et de le partager avec les parties prenantes. Dans le cas présent, cette démarche a probablement permis à l’employeur d’accepter progressivement nos conclusions.
> Qu’est-ce que l’expertise a permis de révéler sur les conditions de travail dans cette direction ?
R.H : Nous avions déjà identifié une surcharge de travail grâce aux remontées des salariés, mais l’expertise a révélé une réalité bien plus complexe. La direction concernée regroupe des activités très diverses, avec des spécificités fortes, et une équipe composée en grande partie de jeunes collaborateurs peu expérimentés. Beaucoup ne savaient pas poser de limites, ce qui les exposait à des journées particulièrement longues et éprouvantes.
Faire reconnaître cette surcharge auprès de l’employeur s’est avéré difficile.
S.G : Nous avons constaté deux points cruciaux. D’une part, les exigences du métier sont très élevées : il s’agit d’un travail hyper-technique, et très contrôlé par des instances internes et externes. Si la conformité, en l’occurrence, n’effectue pas son travail correctement, ça met en péril l’activité même de la banque.
D’autre part, la pression est accentuée par le mode de management qui pousse les salariés à s’investir au-delà du raisonnable pour bien faire leur travail. Dans ce contexte, les nouveaux entrants, souvent jeunes, se retrouvent rapidement sous tension. C’est clairement un environnement de travail exigeant.
> Quelles ont été les suites concrètes de l’expertise pour risque grave ? Comment la direction a-t-elle réagi ?
R.H : L’expertise a permis d’identifier plusieurs dysfonctionnements dans la direction concernée, face auxquels l’expert a proposé des actions concrètes : formation ciblée pour le top management, accompagnement des jeunes collaborateurs, renfort des équipes avec des embauches d’effectifs supplémentaires. Le CSE a ensuite formulé une déclaration qui a servi de base à un plan d’action coconstruit avec la direction ; celle-ci a pris en compte la majorité des mesures urgentes que nous avions préconisées.
Je pense que la direction a mené sa propre enquête terrain après l’expertise, ce qui a confirmé les constats du rapport. Elle a compris que la situation représentait un risque réel, notamment au regard de ses obligations en matière de santé au travail. Le CSE aurait pu saisir l’inspection du travail si nécessaire.
S.G : Ce qui a été décisif, c’est que le CSE a su garder l’initiative et le rythme dans le suivi des actions. Il a assuré un véritable « service après-vente » rigoureux : il a fait en sorte que le rapport de l’expert ne finisse pas sur un coin de table, qu’il ne soit pas oublié, mais bien utilisé comme levier d’amélioration. Le CSE a su se rendre audible et efficace auprès de l’employeur.
La proposition d’un plan d’action commun est difficile à refuser pour une direction. C’était malin de le présenter comme ça ! Nous avons présenté des conclusions à tous les niveaux : direction, management intermédiaire, salariés. Ça a permis de faire du diagnostic un objet partagé, reconnu par tous puisque les conclusions ont été admises par tout le monde.
La direction s’est engagée dans la démarche et s’est approprié le plan d’action, qui a mis en lumière deux grands enjeux : les pratiques managériales (ce qui est acceptable ou non) et la charge de travail (à la fois intense et complexe).
R.H : Au-delà des mesures d’urgence, nous poursuivons le travail avec la commission SSCT pour réfléchir à des actions de prévention. L’objectif est aussi de faciliter la remontée des situations de souffrance, que ce soit vers le CSE ou la direction.
> Pourquoi est-il essentiel de faire appel à un expert dans le cadre d’une expertise pour risque grave ?
R.H : L’anonymat a été un élément clé dans la réussite de l’expertise. Les salariés ont souvent du mal à s’exprimer sur leur souffrance au travail, surtout lorsqu’il s’agit de comportements inappropriés. L’intervention d’un expert extérieur facilite la libération de la parole : il apporte du recul, inspire confiance, et les salariés se confient plus facilement.
En tant qu’élus, nous ne sommes ni formés ni préparés à gérer ce type de témoignages. Quand on reçoit des récits très lourds, on peut se sentir impuissants, surtout si la personne souhaite rester anonyme. L’expertise permet de sortir de cette impasse et d’ouvrir le dialogue.
Les risques psychosociaux sont aujourd’hui la première menace pour la santé des salariés, et nous manquons encore de recul pour les traiter efficacement.
S.G : Être extérieur à l’entreprise est un vrai atout. Cela garantit une neutralité, un regard neuf, non influencé par les dynamiques internes. Notre but est d’apporter un diagnostic objectif tout en renforçant la capacité d’action du CSE.
Dans cette mission, nous avons retracé l’histoire de la direction concernée sur plusieurs années, notamment à travers une frise chronologique. Ça a permis de contextualiser les tensions.
Avec l’expérience, on apprend à lire les situations, à comprendre les postures des différents acteurs. Il faut naviguer avec prudence dans ces jeux d’influence, tout en assurant à chacun un espace sécurisé pour s’exprimer.
> Quels conseils donneriez-vous à des élus qui n'oseraient pas lancer une expertise pour risque grave ?
S.G : Chaque situation est singulière mais, si elle est grave, il est important de s’en saisir. Pour cela, il faut :
- collecter des éléments tangibles pour permettre au CSE de constater la gravité de la situation. Par exemple : des manifestations de la souffrance (via des témoignages, des arrêts de travail, etc.). Le CSE peut faire des inspections si besoin pour recueillir ces éléments ;
- faire des points en réunion de CSE pour interroger l’employeur sur la situation (absentéisme, turnover, licenciement, inaptitude, etc.) et lui montrer que les élus du CSE sont vigilants ;
- interroger la médecine du travail : cela peut être très utile si elle connait la situation. Si elle prend position sur la gravité de la situation (alerte ou simple expression en réunion de CSE par exemple), le recours à l’expert est facilité.
- Enfin, il est important que le CSE soit convaincu de la nécessité de l’expertise.
> Comment le CSE prévoit-il de prolonger les effets de l’expertise et d’agir concrètement sur les risques psychosociaux ?
Régine : La commission RPS du CSE va poursuivre le travail en intégrant les résultats dans le DUERP et en renforçant les actions de prévention. Nous prévoyons de réaliser des sondages réguliers auprès des salariés pour anticiper les tensions et désamorcer les situations à risque.