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Avec la perspective du Brexit, le Royaume-Uni est devenu un terrain de batailles judiciaires sur les droits des CE européens

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Comparé à d’autres systèmes nationaux qui pourtant servent de base à de nombreux CE européens, le Royaume-Uni a fourni de nombreuses jurisprudences. La raison : la bataille judiciaire qui se mène depuis près de deux ans entre avocats patronaux et salariés pour avoir des décisions sur la portée des droits à information et consultation dans la perspective du Brexit et de la migration des CE européens sous pavillon irlandais.

Source : Planet Labor, 12 mars 2020, n°11716 - www.planetlabor.com.

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Dans cette bataille, la principale fédération syndicale britannique, Unite, développe également une stratégie judiciaire sur des affaires clés pour faire reconnaitre aux CE européens des droits à expertise. Dernière en date, la décision Princes Group, rendue le 17 janvier par le CAC (Central Arbitration Committee qui sert de juridiction de première instance aux litiges concernant les relations professionnelles) qui définit la notion de transnationalité de manière large et précise les droits à expertises.

Donner le ton aux juridictions irlandaises qui accueilleront massivement les CE européens de droit britannique après le Brexit. Le Brexit s’accompagne d’un exil des CE européens de droit britannique en Irlande. « Au UK, nous avions un modus vivendi, mais avec l’Irlande nous arrivons en territoire inconnu et tout le monde essaye de marquer son territoire, sachant que les Irlandais vont regarder ce qui s’est fait en Angleterre pour les premières décisions de justice » contextualise Stephane Portet qui dirige la filiale du cabinet d’expertise auprès des comités d’entreprise Syndex. « On assiste donc à une offensive des cabinets d’avocats patronaux depuis un an et demi pour poser des limites aux droits à information à consultation des CE européens notamment en matière de droit à expertise » ajoute-t-il.

Dans ce contexte, il était donc important pour le syndicat Unite de marquer également le territoire. « « Tout d’abord, le système irlandais et le système juridique britannique sont très similaires. Je pense que les affaires tranchées au Royaume-Uni auront beaucoup de poids auprès des juridictions irlandaises. Ce sont en quelque sorte de bonnes lignes directrices pour régler les affaires portant sur les CE européens de droit irlandais » confirme Jonathan Hayward, qui suit particulièrement le sujet des CE européens au sein du syndicat. Avec toutefois une limite de taille : « Le problème que nous avons avec la loi irlandaise, c’est qu’elle n’a pas été correctement transposée dans la législation. Il y a donc des lacunes dans la capacité du comité européen à intenter une action en justice » avant de conclure : «  nous allons faire pression sur le gouvernement irlandais et sur la Commission pour qu’ils rectifient cette situation ».

« La nouvelle offensive porte sur le temps dont peut disposer l’expert notamment via le refus de prendre en compte la préparation nécessaire en amont de la participation aux réunions préparatoires et celui de la présence de l’expert dans les échanges avec la direction » explique M. Portet. Un cas a été déposé devant le CAC précisément pour faire acter ce droit à la présence à la Plénière. «  La plupart des CEE qui ont un expert bénéficient d’un support avec une participation en préparatoire, en plénière et un rapport d’expert, et remettre en cause cela est aller contre l’air du temps et les pratiques maintenant acceptées dans de nombreuses entreprises. »

Faire reconnaitre le droit à expertise.  Du côté d’Unite aussi,  il y a un enjeu à se tourner vers les Courts. « Nous essayons de faire en sorte que les comités d’entreprise européens disposent de tout le soutien et de l’expertise dont ils ont besoin au sein d’un groupe d’intervenants coordonné » explique Jonathan Hayward. « Ainsi, s’ils ont besoin de conseils sur le fonctionnement, ou si le comité d’entreprise européen veut savoir comment faire respecter ses droits à information et consultation, ou encore en cas renégociation des négociations, je me charge de la mission.  S’ils ont besoin de renseignements économiques, financiers, d’analyse, etc., alors je me désengage pour permettre à Syndex d’intervenir. Et s’ils ont besoin d’un soutien juridique, ils peuvent travailler avec une nouvelle organisation mise en place au Royaume-Uni appelée EWC legal advisor pour assumer ce rôle afin de leur fournir des conseils tout au long du processus juridique, à la fois au Royaume-Uni et nous sommes maintenant en train de nous tourner vers l’Irlande aussi ».

Et si cette façon de faire n’est pas acceptée, le syndicat se tourne vers le CAC qui tranche ces litiges. En effet, Unite a une stratégie syndicale depuis près de deux ans et a structuré une approche coordonnée pour ne pas avoir des cas aux CAC qui ne sont pas maitrisés, tels que le cas Oracle qui avait acté que la direction n’a pas à attendre que le CE européen donne son avis pour commencer à mettre en œuvre ses projets (v. dépêche 11314) et plus récemment un affaire Verizon (de décembre dernier, ici)  qui sont effectivement des revers pour les syndicats.

« Nous avons très bien réussi à orchestrer un certain nombre de cas où nous avons pu obtenir le paiement des frais par l’entreprise » confirme M. Hayward. Le cas Emerson avait déjà représenté une victoire pour le syndicat (v. dépêche 9468), mais la décision avait fermé la porte au droit à l’expertise légale en cas de recours judiciaires. Or c’est sur ce dernier point que revient la décision Princes Groupe rendue le 17 janvier (ici).

 En effet, alors que dans l’affaire Emerson, le CAC avait retenu que la représentation par un avocat n’était pas obligatoire pour refuser la prise en charge des frais juridiques, dans la décision Princes, il retient que « la CAC ne peut pas défendre les intérêts des parties ni fournir de conseils juridiques ; il peut arriver qu’une partie estime que les circonstances nécessitent la désignation d’un expert pour l’aider à préparer son dossier et pour agir en tant qu’avocat au cours d’une audience. La décision de savoir si un expert est nécessaire ou non doit être prise par l’organe demandeur, en l’occurrence le CEE, après avoir soigneusement examiné les détails de la question en question. Pour Jonathan Hayward, cette décision tient compte du la nécessité de doter les parties « d’armes égales ».

« Et ensuite, cette décision dit que le CE européen peut choisir, échanger et faire alterner ses experts autant de fois qu’il le souhaite » souligne M. Hayward.  « C’est une situation qu’on développe aujourd’hui, on se fait nommer puis dénommer au profit d’un autre expert, notamment un avocat, en fonction du besoin du CE européen, et cela pourrait même un jour intervenir la même journée » explique M. Portet. « Cela devrait permettre d’avancer pour faire reconnaitre que personne ne peut être expert sur toute chose et que la logique d’un support adapté doit primer sur la sainte règle de la rémunération « d’un seul expert » comme demandé par la loi. Là aussi la flexibilité et le bon sens sont de mise dans de très nombreuses entreprises qui acceptent le principe des équipes de plusieurs experts », ajoute-t-il.

 Princes Group n’est pas qu’un succès sur le volet expertise, la décision définit également ce que signifie en droit britannique la notion de décision transnationale pouvant  « affecter considérablement les travailleurs » à laquelle se référent souvent les accords de CE européen pour déclencher une procédure pour circonstances exceptionnelles. Dans l’affaire en cause qui portait sur la fermeture d’un site au Royaume-Uni et du transfert d’une partie de son activité en Italie, le CAC précise que :

  •     Une décision rentre dans le champ de l’instance au titre de la transnationalité même si elle produit des effets positifs dans un pays (en l’espèce des créations d’emplois en Italie découlant du transfert).
  • Et que la notion « de mesure affectant considérablement les travailleurs » ne doit pas être recherchée dans les deux pays concernés, il suffit que l’impact dans un pays soit significatif et il l’est dans le cas présent puisqu’un site britannique était supprimé. Et le CAC va même jusqu’à dire que s’il faut aller chercher un effet considérable en Italie, le changement de l’organisation de la production et autres conséquences justifieraient de toute façon un effet de cet ordre dans ce dernier pays.

 

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