Interview élu.e/expert.e sur l’importance des visites de terrain
Afficher l'article en plein écranPascale Melich, secrétaire membre du CSE d’une association pour autistes, et Christine Eynaudi, experte au cabinet Syndex, nous expliquent l’importance de réaliser des visites de terrain, non seulement pour recueillir la parole des salariés et mieux appréhender leurs conditions de travail, mais aussi – et surtout – pour formuler auprès des directions des préconisations fondées sur le travail réel.
Bonjour, pouvez-vous vous présenter ?
- Pascale Melich (PM) : Bonjour, je m’appelle Pascale Melich, je travaille à Sésame autisme (association de parents d’enfants et d’adultes autistes) depuis 2006. J’ai rapidement intégré le CSE au niveau local, puis au niveau régional avec une fusion d’établissements en 2015. Depuis 2023 je suis secrétaire de CSE et membre de la commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT).
- Christine Eynaudi (CE) : Bonjour, je suis Christine Eynaudi du cabinet Syndex. Basée à Toulouse, je suis experte en santé, sécurité, conditions de travail. Je réalise essentiellement des expertises prévues par le Code du travail et j’anime des formations SSCT.
Dans quel cadre le CSE a-t-il fait appel à Syndex ? Quels étaient vos besoins ?
- PM : A la suite de son renouvellement en mars 2023, la moitié de notre CSE était composée de nouveaux élus. Aussi, nous avons fait rapidement appel à Syndex pour nous former et suivre la formation SSCT de 5 jours. Nous avons eu besoin de mettre les élus à un niveau suffisant pour pouvoir nous appuyer sur leurs compétences, d’autant plus que les établissements sont très éclatés géographiquement (du sud de Perpignan jusqu’au nord des Cévennes). Et ainsi leur permettre d’être en lien avec les salariés. L’objet de cette formation était aussi de convaincre les élus de leur légitimité vis-à-vis des salariés et de la direction. Cette dernière avait tendance à ne faire appel qu’à moi alors que l’élu local est tout autant légitime.
En quoi consiste une « formation action » ? Qu'est-ce qu'elle permet pour les équipes ?
- CE : La formation action revient à mettre directement en pratique les connaissances acquises en formation. De plus en plus fréquemment en formation SSCT de 5 jours, nous réservons une journée pour aller sur le terrain et réaliser une visite d'inspection.
L’inspection est un outil à la disposition du CSE et de la CSSCT pour visiter des services, des locaux, etc. choisis par le CSE ou la CSSCT.
Le CSE a le droit à 4 visites par an. C’est très utile pour faire remonter les problématiques de terrain, s’assurer que la réglementation est bien appliquée et surtout analyser l’organisation du travail.
- CE : Si le dialogue social est fluide, en général les élus informent leur direction des lieux où ils souhaitent se rendre et cela suffit. Sinon il y a un formalisme à respecter avec un vote en CSE.
L’objectif est de donner aux élus des outils et de leur fournir une méthodologie. Sur une formation de 5 jours, on a le temps d’être observateur et guide en ayant formé le CSE au préalable.
Ce qui est intéressant aussi pour les formateurs, c’est que les visites peuvent se faire dans des environnements très variés. L’an passé, j’ai accompagné une équipe sur un barrage et une autre dans un élevage de béliers !
Pour finir sur les formations action, il nous arrive d’en faire dans le cadre d’expertises contractuelles. C’est le cas récemment avec une équipe qui voulait réaliser le suivi des métiers les plus concernés par une importante réorganisation.
Les élus ont besoin d’aller sur le terrain pour comprendre le travail réel et ils ont besoin pour cela d’une méthodologie. Et ce qu’ils récupèrent sur le terrain, ils l’utilisent ensuite au niveau du CSE pour faire des propositions de prévention, ce qui est une de leurs prérogatives essentielles.
Comment s’est passée la mise en place des visites sur site ?
- PM : Nous, au CSE, on faisait déjà des visites sur les sites depuis plusieurs années mais on se cantonnait aux bâtiments avec un regard plus axé sur la sécurité. Nous n’avions pas cette démarche d’entretien individuel avec les salariés. Il faut dire aussi qu’on a peu de temps et beaucoup de distance à parcourir.
On s’est donc approprié cette démarche, d’abord en vivant plus ou moins bien la formation : c’est compliqué de faire adhérer une majorité de salariés, ils ont besoin de temps pour s’approprier la nouvelle organisation du temps de travail induite par la réalisation de ces entretiens. Et ils ont besoin de l’aide des responsables de service, qui tous n’adhèrent pas à cette démarche. Le fait d’être dans le secteur médico-social, avec des patients que l’on ne peut laisser seuls, ajoute de la complexité à la mise en place de ces entretiens.
On a lancé début août les entretiens avec une direction pas forcément très coopérative. L’envoi du questionnaire en amont aux salariés nous a permis de recevoir quelques retours par mail anonyme. Sur place, on a pu faire des entretiens avec l’équipe de soins.
Le fait d’avoir été informés avant notre visite (avec une nouvelle organisation des entretiens, sans la hiérarchie) a permis aux salariés de se sentir plus concernés et d’améliorer les échanges.
Les salariés reçoivent déjà beaucoup de mails, le CSE ne doit pas être envahissant pour aller chercher les informations. Chez nous, les salariés ont tendance à régler leurs problèmes eux-mêmes. Mon conseil est de privilégier une communication sur le terrain.
Le fait de tenir ces entretiens sans la direction (donc sans lien hiérarchique) a permis aux salariés de se sentir plus écoutés. Contrairement aux visites classiques où on se focalise sur l’établissement, la sécurité, et où il n’y a pas ce lien-là.
Avez-vous pu remonter des problématiques dont vous n’aviez pas conscience ? Ou qui n’avaient jamais été remontées ?
- PM : L’équipe de soins nous a remonté des problématiques dont on avait conscience mais pour lesquelles on n’avait pas de faits. La difficulté pour l’élu est que les salariés reconnaissent sa légitimité à agir.
Nous n’avons pas encore porté de préconisations au CSE car la restitution est en cours. Mais nous savons d’ores et déjà que les entretiens nécessitent du temps.
Avec votre regard d’experte, quel est l’intérêt des élus à aller sur le terrain ?
- CE : Cela permet de faire remonter à la direction des problématiques dont elle n’a pas toujours conscience. L’employeur est sur du travail prescrit.
Ce que remontent les représentants du personnel, surtout après une visite d’inspection, c’est le travail réel – c’est là où les conditions de travail se jouent. Par exemple, dans ce service de soins, un des problèmes est la surcharge de travail.
En remontant les faits, on peut dire que tel jour, tel soignant s’est retrouvé seul avec 15 personnes à soigner alors que c’est beaucoup trop et supérieur au prescrit. Le CSE ne doit pas être dans des généralités mais sur des faits concrets qui sont plus opposables à l’employeur.
- PM : Les soignants nous ont en effet remonté le fait qu’ils se retrouvaient avec beaucoup de remplaçants, ce qui sous-entend beaucoup d’absentéisme, d’arrêts maladie ou d’accidents du travail. Avec des situations où des remplaçants non formés se retrouvent à donner des traitements.
Quels conseils donneriez-vous à des élus qui souhaitent aller sur le terrain ?
- CE : D’abord avoir une méthodologie. C’est ce que nous faisons en formation : former ou au moins initier les représentants du personnel à l’analyse d’une situation de travail, aux questions à poser, à la conduite de l’entretien pour inciter les collègues à s’exprimer, à la visite (savoir quoi regarder) et à la restitution.
Ensuite, très important aussi, la préparation de la visite en commun :
- informer les salariés de la venue du CSE, être très clair sur la confidentialité des entretiens réalisés ;
- organiser des entretiens avec la hiérarchie et les salariés mais veiller à éviter l’existence de liens hiérarchiques en entretien pour que la parole soit libre ;
- analyser en amont les données sur le personnel (effectif, turnover, âge, ancienneté…), les données de santé (absentéisme, accident du travail…) pour avoir une idée de la population que l’on va rencontrer ;
- idéalement, faire un entretien préalable avec le N+1 pour avoir le point de vue de l’employeur ;
- se répartir les tâches.
Et avant d’en faire un compte rendu et des préconisations à l’employeur, puisque c’est bien l’objet de l’inspection et la mission du CSE ou de la CSSCT, valider et « tester » le compte rendu auprès du CSE, pour s’assurer de la solidité des conclusions et des préconisations.
- PM : Je dirais aux élus que c’est très intéressant de faire varier notre approche. Il y a un lien supplémentaire qui peut se créer avec les salariés.
- CE : Le fait de tracer les faits renvoie l’employeur à ses responsabilités. Et ça peut aussi servir dans le temps : en cas d’accident, le CSE pourra montrer qu’il s’est préoccupé de la situation, a constaté des risques.
Les représentants du personnel sont parfois dubitatifs sur l’utilité des visites d’inspection car ce n’est pas un exercice simple et qui a parfois peu de suites. Mais ils doivent être convaincus que s’ils n’en faisaient pas, les situations pourraient être encore plus dégradées.
Même si l’utilité ne se voit pas tout de suite, une commission SSCT solide qui remonte des faits au travers des visites d’inspection, effectue un travail indispensable pour la prévention des risques professionnels.