[Interview] Tout savoir sur les restructurations
Afficher l'article en plein écranQu’est-ce que l’accord de performance collective ? Qu’est-ce que la rupture conventionnelle collective ? Quels en sont les risques et opportunités ? Notre expert Pierre Picard vous explique tout !
Pourquoi le sujet des restructurations fait-il l'actualité ?
Pierre Picard : Nous sommes dans un contexte économique qui conduit certaines entreprises à mettre en œuvre des licenciements ou des réorganisations synonymes de suppressions d’emplois. Les défaillances d’entreprises ont augmenté fortement ces derniers mois. De plus en plus d'entreprises font face à des problèmes financiers importants, entraînant une augmentation significative des procédures légales de restructuration. Ces mesures, telles que la sauvegarde, le redressement judiciaire, la liquidation judiciaire, les mandats ad hoc et les conciliations, ont augmenté en raison de la fin des aides liées à la crise sanitaire, comme les prêts garantis par l'État, les fonds de solidarité et le chômage partiel.
Le durcissement des prêts bancaires impacte les entreprises endettées, et les perspectives économiques défavorables rendent les investissements et les embauches moins attrayants. Cela se traduit par une hausse des adhésions au Contrat de sécurisation professionnelle (CSP) après des licenciements économiques. Au premier trimestre 2023, les adhésions au CSP ont augmenté de près de 60%, et les inscriptions à Pôle emploi pour licenciement économique ont également fortement augmenté.
Dans ce contexte de fragilisation et de tension sur l’emploi, les équipes syndicales ont besoin d’appui pour comprendre les réalités de leurs entreprises et s’approprier les enjeux des restructurations auxquels ils sont ou pourraient être confrontés à moyen terme. S’il n’y a pas de vague massive, nous voyons les sollicitations d’équipes croître progressivement.
Dans ce contexte quels sont les enjeux pour les IRP ?
PP : Les organisations syndicales et les équipes locales sont relativement familières des PSE, PDVA et PSE mixte.
Depuis fin 2017, de nouveaux dispositifs, tels que l'accord de performance collective (APC) et la rupture conventionnelle collective (RCC), ont été introduits. Ils se caractérisent par un cadre légal peu contraignant pour l'employeur, mais nécessitent un accord entre la direction et les organisations syndicales. Ces pratiques légales récentes visent à trouver un compromis au niveau local de l'entreprise ou d'un établissement. Les organisations syndicales doivent donc bien comprendre la situation et les enjeux de l'entreprise. Contrairement aux PDVA et aux PSE, ces dispositifs ne peuvent être mis en œuvre sans la signature des organisations syndicales majoritaires. Ainsi, ces dernières ont un pouvoir significatif pour influencer positivement le projet initial de la direction.
Avec ces dispositifs, le rapport de force prend une autre nature, reposant sur la capacité des acteurs à co-construire un compromis acceptable. C'est là que Syndex joue un rôle important en soutien aux organisations syndicales.
Quelles sont les caractéristiques de l’Accord de Performance collective ?
PP : Un accord de performance collective va modifier des éléments essentiels du contrat de travail des salariés (lieu de travail, temps de travail, rémunération, contenu du travail et qualification associée), sans que ces derniers ne puissent s’y opposer, un refus entrainant un licenciement pour un motif « sui generis ». Pour l’employeur, aucune justification n’est obligatoire, mis à part un préambule définissant les objectifs de l'accord. Notamment, il n'est pas nécessaire de justifier d'un motif économique, ni d'obtenir l'approbation de l’administration du travail.
Le comité d’évaluation des ordonnances de septembre 2017 de France Stratégie pointait dans son rapport de 2020 concernant les APC, des « accords avec de faibles contreparties » avec « une majorité d’accords à durée illimitée sans que ne soit toujours prévue une clause de revoyure ou de procédures de suivi, ni une clause de retour à meilleure fortune » et soulevait « la question de la loyauté des négociations qui les précèdent ».
Accompagner les négociateurs est essentiel pour leur permettre d’éviter les pièges mais aussi pour valoriser leur accord. Il s’agit de les outiller pour valoriser leur signature, celle-ci devant s’accompagner de contreparties (garantie sur un maintien de l’emploi par exemple) avec au préalable une vision claire et étayée de la situation de l’entreprise et de l’inscription de l’APC dans sa stratégie de moyen terme.
Dans cette optique le recours de l’expert est prévu par la loi. C’est une carte en plus pour les négociateurs qui ne préjuge pas de l’issue des discussions, mais rééquilibre les échanges et fait des organisations syndicales des forces de propositions et de contre-propositions.
Et qu’en est-il pour les Ruptures Conventionnelles Collectives (RCC) ?
PP : Pour la RCC, des clauses sont à inscrire obligatoirement dans l’accord, mais le dispositif laisse des marges de manœuvre importantes aux négociateurs.
L’accord de RCC est triple et implique : les partenaires sociaux – matérialisé dans un accord collectif majoritaire –, l’administration du travail qui le valide et le salarié qui candidate au départ. Encore plus que pour les APC, la RCC suppose que la situation de l’entreprise permet un volontariat réel.
Si les difficultés économiques sont trop prégnantes, c’est le PSE qui tend à s’imposer.
À la différence de l’APC, le code du travail ne prévoit pas d’accompagnement par l’expert. Mais les équipes syndicales peuvent conditionner l’ouverture des négociations à la prise en charge par l’employeur du recours à cet appui.
Là encore, c’est une condition de la loyauté des négociations : que les parties soient informées et outillées de façon équilibrée. Concrètement cela peut se matérialiser dans un accord de méthode qui précise les informations partagées, le calendrier et les moyens mis à disposition des négociateurs.
Quels sont les risques ?
PP : Les risques sont multiples ! Pour les salariés, qu’ils quittent l’entreprise ou qu’ils y restent, en termes de trajectoire pour l’entreprise, en termes d’organisation du travail… Et bien entendu sur le plan syndical car on touche à des sujets sensibles.
Ces réorganisations constituent des moments « forts » assimilables à des « accélérateurs de l’histoire » avec des dynamiques potentiellement très différentes notamment en matière de motivation et d’engagement des salariés, de conditions de travail, de niveau et de qualité du dialogue social, de dynamique de syndicalisation, de respect des organisations syndicales, etc.
Dans ces moments où les enjeux sont exacerbés l’accompagnement et l’appui de l’expert Syndex constituent des atouts dont les équipes ne doivent pas se passer.
Est-ce que ces situations peuvent constituer une opportunité ?
PP : Elles le peuvent dans certaines conditions où les choix réalisés par les négociateurs — et particulièrement les organisations syndicales — sont assumés et permettent de sauvegarder la pérennité d’une entreprise, l’emploi et les conditions de travail.
Mais la vigilance reste de mise et passe notamment par un accompagnement rapproché auprès des équipes pour les aider à s’y retrouver et à se forger une position dans ces contextes de restructuration.