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Auto : la filière brûle...

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Depuis 30 ans, la filière automobile européenne perd du terrain. Porteurs d’innovation et de croissance jusqu’au début des années 2000, les acteurs automobiles européens se tournent désormais vers les asiatiques, principalement chinois, ou américains pour se mettre à niveau tant sur le volet de l’électrification que sur celui de la connectivité.

Pourtant…

La mutation du secteur était annoncée. Citons par exemple Michel Freyssenet, dans son ouvrage, La Seconde Révolution automobile, en 2009 :

« Nous sommes au début d'une deuxième révolution de l’automobile résultant de la combinaison de deux transformations : le développement rapide de nouveaux marchés automobiles (Brésil, Russie, Inde, Chine) dépassant de loin tout ce qui a pu être observé dans le passé, aussi bien aux États-Unis d'Amérique qu'en Europe et au Japon ; et la transition vers des énergies alternatives et de nouvelles motorisations. Ces deux changements, qui en dépit des apparences sont interdépendants, vont bouleverser l'automobile, industriellement et pratiquement.

La question est maintenant de savoir qui des anciens ou des nouveaux constructeurs automobiles bénéficieront de ces bouleversements et quelles en seront les conséquences pour les salariés et les pays concernés. »

Eh bien, nous y sommes, dans ces bouleversements… anticipés. Donc, de fait, anticipables !

Le plan chinois s’est, lui aussi, déroulé comme prévu…

En 2015, la Chine initiait son plan Made in China 2025, comme en faisait état la direction générale du Trésor la même année1. L’initiative chinoise partait du constat d’une dépendance critique de l’économie chinoise à l’égard de l’étranger.

Le plan Made in China 2025

Ce plan visait à :

  • soutenir la transformation et la mise à niveau de l’industrie manufacturière ;
  • faire passer la Chine du statut « d’usine du monde » à celui de « grande puissance industrielle » maîtrisant la recherche, l’innovation et la production de biens à forte valeur ajoutée ;
  • encourager les achats et fusions-acquisitions dans des domaines économiques vitaux ou liés à la sécurité nationale ;
  • renouveler dans un même temps la tactique d’investissement à l’étranger pour acquérir de nouvelles technologies stratégiques, et le déploiement à l’étranger des entreprises chinoises.

 

Ce plan devait permettre à l’industrie d’être plus efficace et intégrée, avec un contenu national de composants et matériaux clés de 40 % en 2020 et 70 % en 2025. Il s’agissait également de créer des champions nationaux capables de s’imposer comme des acteurs incontournables à l’international. Le Trésor anticipait une concurrence accrue.

De fait, BYD fait partie, depuis 2024, du top 10 des constructeurs automobiles mondiaux en matière de ventes. Cette montée en puissance ne s’est pas opérée toute seule. Outre les aides gouvernementales dont plusieurs constructeurs chinois ont bénéficié2, BYD affiche un taux d’investissement très important (supérieur à 10 % du chiffre d’affaires, sauf en 2020). Great Wall, Geely, Volvo Cars affichent également des taux d’investissement élevés, comparables à Tesla et bien supérieurs aux taux d’investissement des Européens (< 8 %).

Pendant ce temps, concentrée sur les coûts et la génération de cash, la filière européenne se démembrait

Alors que les plus grands constructeurs avaient, en 2008, tous noué des contrats avec des fabricants de batteries3, la crise de 2008-2009 a eu raison des projets d’investissements engagés. Les constructeurs et équipementiers historiques se sont refocalisés sur la compétitivité coûts, mobilisant principalement deux leviers :

  • la baisse de voilure des sites d’Europe de l’Ouest et la délocalisation des capacités en pays à bas coûts, à l’est et à la périphérie de l’Europe (Turquie et Maroc principalement, pays dans lesquels existent des accords de libre-échange avec l’Europe depuis la fin des années 1990). L’objectif était d’abaisser le poids théorique des coûts de la main-d’œuvre, pour les donneurs d’ordres et leurs fournisseurs, en production et désormais en R&D ; 
  • un repositionnement des entreprises sur leur « core business »4 afin d’améliorer la rentabilité de leurs actifs. Les activités moins « core » ont été revendues à des sous-traitants, des fonds d’investissement, également centrés sur des stratégies financières, ou ont été arrêtées.

En Europe, cet objectif de réduction de coûts a engendré de coûteuses réorganisations et instabilités managériales et stratégiques.

Depuis, nombre de directions de sites automobiles, en France notamment, ont la lourde charge d’abaisser le point mort de leur site et de maintenir ou accroitre la productivité sans renouveler l’outil de production, ou à condition que les salariés et/ou les pouvoirs publics fassent des efforts pour réduire le coût de l’investissement et limiter les sorties de cash.

Alors… on laisse faire ou on se donne les moyens de regénérer le terreau européen ?

Aujourd’hui, la concurrence s’intensifie sur le marché européen, attisée par l’arrivée des constructeurs chinois qui maitrisent la chaine de valeur électrifiée, à des prix attractifs. Les constructeurs chinois détiennent à fin août 2025, 5 % des parts de marché en Europe5, chiffre qui pourrait atteindre 10 % en 2030, d’après les prévisions de S&P Global Mobility d’août 2025, avec toutefois 2/3 de véhicules importés.

La faiblesse des projets des constructeurs européens et la diminution des marges accessibles incitent nombre d’entreprises à réduire leurs capacités en Europe et à partir voir si l’herbe n’est pas plus verte ailleurs.

Pourtant, il reste des marges de manœuvre inexploitées dans la manière dont les entreprises de la filière développent, produisent et gèrent les approvisionnements pour abaisser leur structure de coûts. Et cela ne repose pas uniquement sur la quête du prix le plus bas.

En modularisant, simplifiant, rapprochant, réduisant les risques, consommant moins d’énergie, renouvelant l’offre de mobilité, des gisements de croissance et de performance sont encore accessibles depuis l’Europe.

Il est peut-être temps de reconnaitre que, sans investissement, il n’est pas possible d’innover et de prendre de l’avance.

Il est peut-être temps de recommencer à générer des revenus pour investir, et pas uniquement pour rémunérer les actionnaires et rassurer les banques : pourquoi pas rémunérer les actionnaires sur la base de 15 % du résultat net, plutôt que 30 % et plus.

Il est peut-être temps de stabiliser les filières industrielles sur un périmètre régional plutôt que de financer d’interminables réorganisations qui réduisent l’autonomie industrielle européenne, entament les économies d’échelle, déconnectent les équipes de leur travail réel et affaiblissent la filière dans son ensemble.

Ne serait-il pas possible d’envisager des coûts d’accès à l’énergie différenciés selon le poids du contenu produit en Europe ?

Il est encore temps d’inventer des solutions de mobilité qui répondent aux enjeux des multiples territoires européens et qui ne soient pas toutes des SUV.

Il ne serait pas choquant de solliciter auprès des sociétés chinoises investissant en Europe l’établissement de coentreprises, comme cela se pratique en Chine6.

Enfin, il est urgent de faciliter l’employabilité et la reconversion massive des salariés de l’automobile. Aujourd’hui, c’est principalement sous l’effet des délocalisations que la filière s’est amincie. Demain, le contenu en emploi lié à l’électrification et l’automatisation croissante des équipements en conception et en production sera également plus bas.

La Seconde Révolution automobile

Pour ceux qui veulent aller plus loin, dans son ouvrage La Seconde Révolution automobile, Michel Freyssenet conclut ainsi : « Les acteurs qui d’une part sauront combiner les différents éléments (nouveaux et anciens) de l’automobile et une source d’énergie universellement accessible et peu coûteuse en une architecture cohérente et qui d’autre part seront en mesure d’abaisser drastiquement les prix de vente grâce à un marché solvable étendu relativement homogène, des aides gouvernementales et des coûts de production très bas prendront une sérieuse option sur l’avenir. Ces conditions pourraient être réunies aussi bien par de nouveaux entrants chinois ou indiens ou des producteurs d’énergie que par de grands équipementiers ou des constructeurs historiques. Chine et Inde disposent de grands groupes industriels, de moyens financiers, des transferts de technologie, des ingénieurs compétents, de la main-d’œuvre formée, des salaires bas, des réseaux de sous-traitants, de marchés vastes, de la volonté d’autonomie et de revanche politique nécessaires à la constitution d’une industrie automobile en propre. Le passage à de nouvelles motorisations pourrait en être l’occasion et le moyen. »

 

1. Source : note de la direction générale du Trésor, service économique régional à Pékin, 5 juin 2015.
2. Source : Commission européenne.
3. Ibid.
4. Il s’agit de se recentrer sur les compétences les plus fortes de l’entreprise, c’est-à-dire sur le core business ou cœur de métier le plus rentable pour les investisseurs (source : Xerfi Canal).
5. Source : données ACEA, se rapportant à Volvo Cars (2,2 %), SAIC (1,9 %) et BYD (0,9 %).
6. Source : CI Process.

 

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