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[Interview] Les résultats du baromètre Syndex-Ifop – Claire Morel

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Les résultats du 5ème baromètre Syndex - IFOP viennent de tomber. Entre difficultés pour recruter de nouveaux candidats, points de vigilance ou encore prérogatives environnementales, Claire Morel vous aide à mieux comprendre l'état du dialogue social en 2023.

C. Morel

Au regard du contexte actuel (tensions sociales fortes), quels sont les 3 enseignements principaux que vous retenez de ce dernier baromètre ?

1) L’écart de perception sur la qualité du dialogue social est très marquant puisque d’un côté les représentants du personnel (RP) et les salariés jugent plutôt moyenne la qualité du dialogue social avec une note de 5/10 pour les RP et 5,7/10 pour les salariés et d’un autre côté, les directions se déclarent plutôt satisfaites avec une note de 7, 8/10.

Cet écart implique des conséquences importantes sur la mise en œuvre du dialogue social puisque les RP considèrent que la qualité d’un bon dialogue social est liée à la proximité et à la prise en compte de leurs avis. Pour les directions, c’est le respect de la loi, le formalisme qui priment. Elles ne s’attendent pas à ce que les RP pèsent sur les décisions qu’elles prennent. Ce qui explique en partie l’insatisfaction des RP  et n’est pas selon nous un gage de bonne qualité du dialogue social.

2) 93 % des RP anticipent des difficultés pour recruter de nouveaux candidats – ce qui est plutôt inquiétant. Ils sont ¾ à vouloir se représenter et restent très engagés mais ils craignent que les salariés aient peur de s’engager car la fonction nécessite un temps d’investissement important. Les ordonnances ont éloigné certaines instances des salariés, ce qui crée des difficultés pour recruter. Les salariés ont confiance en leurs IRP (+60 %), et sont 83 % à avoir l’intention de voter mais l’engagement que nécessite cette instance et parfois le peu de poids que leur donne la direction peuvent démotiver ceux qui auraient envie de s’engager dans leur entreprise. D'autres formes d’engagement émergent également. 

3) 82 % des RP veulent renforcer le poids des avis des CSE, c’est une constante de notre baromètre. Le CSE a pour vocation d’assurer l’expression collective des salariés, ils sont consultés sur la situation économique et financière, la politique sociale, la stratégie et toute décision importante prise par l’entreprise. À partir du moment où ils sont consultés, ils travaillent leurs avis, ils posent des questions aux directions qui sont tenues d’y répondre. Or ces directions répondent très rarement à ces questions et tiennent très peu compte des avis. C’est une vrai perte car les élus sont des capteurs, ils sont en connexion avec les salariés, connaissent bien le fonctionnement de leur entreprise et leur avis est précieux. Si les entreprises en tenaient davantage compte, ce serait un progrès important  pour un dialogue social de qualité. 

 

Quels points de vigilance donneriez-vous aux représentants du personnel ?

1) La proximité et la communication entre RP et salariés

Le nouveau contexte issu des ordonnances et les conséquences du Covid sur le télétravail font que le manque de temps et de moyens fragilise la relation entre le CSE et les salariés. La centralisation plus forte des instances avec l’absence de moyens donnés aux représentants de proximité, la baisse des heures de délégation, la fusion des instances, la fin du rôle des suppléants… peuvent faire craindre une relation distendue entre RP et salariés. Or, la proximité est très importante, les élus le disent eux-mêmes. Il y a donc un point de vigilance sur cette question de proximité et aussi sur la communication auprès des salariés. Les CSE s’en rendent compte et face notamment à la multiplication des canaux de diffusion d’information – pas toujours fiables (comme les groupes WhatsApp ou encore les sites Facebook qui peuvent se créer en dehors des organisations syndicales et des instances. La loi en est restée aux panneaux syndicaux, les élus  n’ont pas de droit la possibilité de communiquer sur les boites mail professionnelles de tous les salariés de l’entreprise, il faut demander un accord auprès de l’employeur qui est peu donné. Les RP sont confrontés à un enjeu de communication afin d’informer les salariés, à la fois en présentiel et de façon électronique, sur les actions qu’ils mettent en œuvre et les revendications qu’ils portent. 

2) L’enjeu des négociations salariales est aussi un enjeu pour les RP et les directions

Il y a un écart important entre les augmentations souhaitées par les salariés et les RP, qui varient entre 8 et 10 %, et les augmentations anticipées, de 3 à 4 %. Cet écart génère des tensions dans les négociations et des déceptions. En période de forte inflation, cela reste critique pour maintenir le pouvoir d’achat et retenir les salariés dans certains secteurs en tension. En 2022, nos études et notre baromètre Syndex-Ifop ont montré que côté directions, les augmentations ont été inférieures à l’inflation, et les augmentations prévues par les directions en 2023 sont de l’ordre de 3 %, soit encore inférieures à l’inflation prévue. Pourtant, selon les salariés, les 3 éléments qui les font rester dans leur entreprise sont : la rémunération (en 1er), les conditions de travail et la reconnaissance de leur travail à sa juste valeur – ce qui donne prise aux revendications de rémunération. On a un enjeu, après des années de Covid où les salariés ont fait beaucoup d’efforts, à bien les rémunérer. D’où l’importance pour les RP de bien comprendre les enjeux économiques de leur entreprise, de bien identifier les marges de manœuvre – y compris quand l’entreprise va un peu moins bien. Il y a des modes de négociation et des dispositifs à mettre en place pour améliorer le pouvoir d’achat.

3) Le télétravail

Les salariés y sont plutôt très favorables, les directions aussi car elles y trouvent un moyen pour réduire les surfaces occupées. Nous l’avons d’ailleurs observé sur des missions d’expertise avec la mise en place du flex office.  

Certes le télétravail permet aux salariés d’économiser du temps de transport et d’être un peu plus flexibles dans leur organisation personnelle. Néanmoins, les RP constatent des impacts négatifs sur la solidarité entre collègues, sur l’intensification de la journée au travail, cela augmente la productivité. En effet, les économies de temps de transport sont souvent réinjectées dans du temps de travail. Il y a un vrai enjeu pour les RP à appréhender ces risques sur le moyen terme car ils peuvent devenir pesants et diluer les collectifs de travail et la solidarité entre collègues. Le télétravail complique la proximité avec les salariés, d’où l’enjeu de communication. Enfin, autre aspect à prendre en compte, l’inégalité d’accès au télétravail, avec une attention de la part des RP pour tenter de trouver des temps télétravaillables y compris pour des postes a priori non télétravaillables.  

 

74 % des salariés estiment que leur CSE ne s’est pas encore saisi de ses nouvelles prérogatives environnementales, comment l'expliquez-vous ?

Rappelons que la loi sur les nouvelles prérogatives environnementales est récente (août 2021) et 26 % des RP se sentent bien informés sur le sujet, c’est 10 points de plus par rapport à l’année dernière ! Mais oui, cela reste minoritaire. On peut l’expliquer par deux raisons. D’abord, le CSE a beaucoup de sujets à traiter et doit les prioriser, on comprend bien que celui des rémunérations par exemple puisse passer avant. L’autre raison avancée par les RP est que la direction n’a pas transmis d’information à ce sujet, ce que l’on constate aussi sur certaines de nos consultations, c’est une information qui existe encore trop peu. C’est aux élus de la réclamer, cela ne vient pas naturellement de la part des directions qui elles aussi doivent se former. C’est une prérogative supplémentaire qui est très importante, où les RP ont un vrai rôle à jouer et sont légitimes pour le faire (comme l’estiment 74 % des salariés), puisqu’il y a des impacts sur la vie des salariés, sur les parcours professionnels quand les entreprises ont un modèle économique qui est percuté par la transition écologique... Néanmoins, il n'y a pas eu d’heures de délégation supplémentaires ni de crédit d’heures de formation supplémentaire, ce qui serait nécessaire pour bien appréhender cette nouvelle prérogative. Intégrer dans les expertises, comme la loi le prévoit, les conséquences environnementales est utile également pour se saisir de ces nouvelles prérogatives.

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