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Dossier : Newsletter auto #7

[INTERVIEW] Auto : la fonderie aluminium aura-t-elle sa chance ?

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Tout est-il joué en France pour la fonderie d’aluminium destinée à l’auto ? C’est ce que laisse penser la disparition récente de certains de ses fleurons. Pourtant des opportunités existent pour peu que la filière s’y engage, comme nous l’explique Michel, l’un des experts auto de Syndex.

 

fonderie aluminium auto

Michel Sonzogni est expert auto Syndex à Angers, en Pays-de-la-Loire.

 

FONDERIE AUTOMOBILE : QUELQUES CHIFFRES CLÉS

Elle représente 45% de la fonderie en France  et 2,5 Md€ de chiffre d’affaires.  
Elle emploie moins de 13 000 salariés (en baisse).   

Production :  
• aluminium : 80% des tonnages, majoritairement en injection (haute pression), de moins en moins en coulée gravitaire (basse pression). 

• fonte : 20%, en recul progressif. 

 

Le secteur de la fonderie automobile a été durement touché ces deux dernières années. Peux-tu revenir sur les principaux événements qui ont eu lieu ?

Effectivement, plusieurs entreprises de fonderie ont été fermées en 2021 et 2022, réduisant nettement les capacités françaises, notamment en fonte d’aluminium. Citons en particulier MBF Alu, les Fonderies du Poitou Fonte (et des fonderies du Poitou Alu en mauvaise posture), FVM et sa société sœur la SAM, dont les salariés ont mené un sacré combat pour maintenir l’espoir d’un nouveau projet industriel.

Dans tous ces dossiers, la responsabilité de Renault comme principal donneur d’ordres a clairement été engagée. Il l’est évidemment sur la Fonderie de Bretagne qui lui appartient, où il apporte peu d’informations aux salariés et aux collectivités locales, sur l’avenir de cette usine qu’il dit vouloir céder. 

Est-ce la crise sanitaire de 2020 et celle des approvisionnements en 2021 qui ont particulièrement fragilisé ce secteur ?

Non, ces crises ne sont pas à l’origine de cette fragilisation, même si elles n’ont pas arrangé les choses. Les premières alertes sont en réalité décelables dès la fin 2019 dans les publications de la PFA (pourtant discrète lorsqu’il s’agit de restructuration) : ce secteur était dans le collimateur des constructeurs avant l’apparition du Covid et la mission confiée au cabinet Roland Berger par la PFA début 2020 est le témoin le plus clair de cette volonté de recomposer fortement la filière.

Non, les crises sanitaire et des approvisionnements ne sont pas à l’origine de cette fragilisation

Les donneurs d’ordre de la filière ont alors prétexté des surcapacités pour justifier la recomposition. Or, il n’est pas possible de mesurer si la baisse des volumes était due à l’évolution des marchés ou à une délocalisation progressive des achats de pièces de fonderie. Pour Renault, on sait que des approvisionnements ont été réalisés en Turquie, et que des projets d’achats en Inde et en Chine étaient à l’étude. 

Que s’est-il passé après le rapport du cabinet Roland Berger ?

Ce rapport (voir notre analyse en 2020) appelait à une « consolidation » du secteur, autour de deux champions européens à base française et dotés d'un dispositif industriel international (produisant donc en partie à « bas coûts »). Des préconisations similaires avaient été formulées en 2014 à propos de l’emboutissage. Or il se produit aujourd’hui pour la fonderie d’aluminium ce qu’il s’est produit en 2014 pour l’emboutissage : la consolidation concertée a laissé place à une restructuration sauvage.

Tout le monde se dit prêt à jouer le jeu d’un intérêt collectif (mais qui n’est pas celui des salariés), cependant, quand il s’agit de voir « qui reprend qui », chacun tire la couverture à soi et fait valoir son propre intérêt à court terme. Surtout, les clients principaux n’ont pris aucun engagement, décourageant les potentiels repreneurs. En conclusion, une entreprise comme MBF, avec de réels atouts industriels et humains, se retrouve sans aucune proposition sérieuse… et sans possibilité pour les salariés de faire valoir leur projet de reprise en Scop. 

Tout le monde se dit prêt à jouer le jeu d’un intérêt collectif, mais quand il s’agit de voir « qui reprend qui », chacun fait valoir son propre intérêt à court terme.

Les pièces en fonte d’aluminium entrent principalement dans la fabrication des moteurs thermiques : l’électrification est-elle la cause première de cette restructuration ?

En 2019-2020, lorsqu’on parle de consolidation du secteur, les véhicules électriques ne peuvent pas expliquer des surcapacités.

Au contraire, le rapport Berger a mis en évidence de réelles opportunités pour la fonderie aluminium haute pression, avec le développement des véhicules électriques, et leur besoin impérieux d’allègement du châssis.

Le cabinet Alix Partner, dont les travaux ont nourri la feuille de route de la PFA présentée à l’automne dernier, identifie lui aussi dans l’électrification un potentiel pour l’injection alu, qui serait l’un des rares segments à pouvoir espérer une croissance de son activité et de ses emplois à moyen terme… quand tous les autres s’inscrivent dans des scénarios à la baisse, plus ou moins violents.

Malgré ces indications, des fleurons du secteur ferment les uns après les autres. GMD reste un des seuls acteurs majeurs du secteur, mais sans pour autant que cela profite fortement à ses usines françaises. On ne voit que l’appauvrissement, pas les opportunités. 

Que faudrait-il faire alors pour engager une autre trajectoire ?

Probablement un certain courage économique et politique !

Les pièces de structures en injection alu haute pression demandent des presses de 4 000 tonnes ou plus, quand les plus grosses en France aujourd’hui sont de 3 000 tonnes. Si ces technologies s’imposent demain, c’est dès maintenant qu’il faut offrir à certains acteurs l’opportunité de s’y lancer. Il faut une aide à l’investissement de l’Etat. En la matière, les programmes et les fonds existent.

Il faut surtout une garantie de la part des clients, qu’ils soutiendront les sous-traitants qui font l’effort d’investir en maîtrise technologique, et donc en temps et en savoir-faire humain. Sans cela, on va regarder passer les trains. Les Chinois ont déjà une bonne longueur d’avance et Tesla s’y engage aussi. Des acteurs européens commencent à y aller. Si on ne veut pas se retrouver dans quelques années en se disant qu’on a encore perdu en compétence et en compétitivité, c’est maintenant qu’il faut investir.

Rappelons-nous des aspects positifs du rapport Guyot, qui mettait l’accent sur la nécessité de faire naître une filière d’excellence autour du véhicule électrique, avant d’être enterré par la Covid. Ce devrait être une des priorités du Comité stratégique de filière automobile que d’organiser cette trajectoire. 

 

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