Actualités

Une politique de rémunération, oui, mais qui rémunère quoi ?

Afficher l'article en plein écran

Sur de nombreux métiers du secteur bancaire, nous pouvons constater au fil des expertises menées par Syndex un déséquilibre persistant entre les rémunérations des salarié·es récemment entré·es dans l’entreprise, et donc passé·es par la case du marché du travail, et les salarié·es déjà présent·es. Or ce décalage est très rarement justifié par des écarts d’expérience favorables aux nouveaux entrants. Le secteur est passé d’une dynamique minimale collective à une individualisation des salaires, dans laquelle les minimas conventionnels ne sont plus qu’un écran de fumée.

Les minimas conventionnels au service d’une politique salariale rase-mottes

donnees fiche banque


Quelle volonté de valoriser les parcours professionnels ?  

A considérer que le marché de travail soit un bon indicateur de la valorisation de la compétence d’un salarié, comment les entreprises justifient-elles les écarts qui peuvent être constatés entre les rémunérations pratiquées sur le marché du travail et celles pratiquées en interne ? À expérience égale, si le salaire est inférieur, quelle est alors la stratégie de l’entreprise pour inciter ses salariés à être fidèles ? Quelle valeur est donnée à un parcours interne au sein de l’entreprise ? Les salariés doivent- ils se contenter de la rémunération offerte alors qu’ils sont porteurs de la culture de l’entreprise et de ses valeurs, et qu’ils sont aussi le vecteur de l’intégration des nouveaux entrants par la transmission ?

Les benchmarks dressés comme contre-argument imparable 

Lors des différentes discussions avec les équipes en charge des rémunérations au sein d’une entité, l’argument des benchmarks est très généralement exposé pour couper court à tout questionnement. Cet outil devient alors la pierre angulaire de la politique appliquée. Voire le bouclier justifiant le manque d’éléments étayés sur la rémunération par rapport à l’attendu d’un métier. On entend par là les compétences, l’habileté à encadrer des équipes, la capacité à prendre des décisions, ou encore l’expérience et le parcours du salarié. L’adéquation entre rétribution et compétences n’est de fait plus évidente pour les salariés. Ajoutons que deux benchmarks peuvent co-exister, un externe et un interne. Le premier fonctionnant dans le cas d’un recrutement externe et le second dans le cas d’une mobilité ou d’une promotion. Cette coexistence permet alors de faire perdurer des différences notables entre les salariés s’inscrivant dans un parcours au sein de leur entité ou de leur groupe et ceux profitant de la dynamique du marché du travail. Cela peut d’ailleurs être assumé de la part des dirigeants, de positionner leurs salariés en-deçà de la moyenne du marché, en arguant du prestige de leur entreprise.

Qu'est-ce qui est rémunéré et qu'est-ce qui est valorisé ?  

Le prisme selon lequel les salariés fidèles sont une ressource captive n’encourage pas à revaloriser les rémunérations en fonction de l’évolution de leurs compétences. De fait, en 20 ans, le coefficient multiplicateur entre les minima par classe et le SMIC a diminué, ramenant progressivement l’ensemble de ces minimas vers le SMIC. Ce constat est tout aussi valable pour les classes de techniciens que pour celles des cadres. Cette baisse est particulièrement marquée entre 2016 et 2023, voire a démarré en 2011 pour la classe K. Ce tassement des rémunérations vers le SMIC peut engendrer un réel déclassement des différents métiers, et participe in-fine à leur dévalorisation. Il est tentant de noter une corrélation avec la progression de la part des femmes dans les services financiers, tout particulièrement au niveau des classifications de cadres.

evolution coeff fiche banque

La première source de valorisation est celle des minima conventionnels  

Les minima conventionnels sont le premier jalon de la politique de rémunération des entreprises d’une branche. Même si beaucoup d’entreprises fixent leurs propres minima légèrement au-dessus de ceux de la convention de branche, ils sont un premier indicateur de la dynamique de progression des rémunérations du secteur. Le graphique ci-après montre une brutale décorrélation entre l’inflation et l’évolution des minima par classes intervenue post-COVID. Ce constat ouvre la question des nouvelles politiques de rémunération favorisant une individualisation exacerbée : la classification ne serait-elle plus la reconnaissance d’un niveau de responsabilité, d’autonomie et de compétences ?

evolution minama convention banque

Un système de valorisation contre-productif ?

echelle avec cube

Les décalages, le plus souvent assumés sous la bannière de la loi du marché, doivent pourtant être instruits, sans quoi le sentiment d’iniquité qui en découle engendre un effet délétère pour les salarié·es de l’entreprise.

Dans les années 1960, le psychologue John Stacey Adams a développé une théorie autour des conséquences découlant du sentiment d’iniquité au sein de l’entreprise. Il y expose que, sur la base du principe unique de proportionnalité, le salarié doit trouver un équilibre entre sa contribution et sa rétribution. Sa rétribution englobe les éléments de rémunération, les conditions de travail, mais aussi la formation et les parcours professionnels. Aussi, si un salarié ressent un déséquilibre, il va user des moyens à sa disposition pour tenter de rétablir l’équilibre. Cela peut passer notamment par une demande d’augmentation salariale, mais, si celle-ci est refusée, il pourra être tenté de réduire sa contribution.

Les entreprises peuvent alors provoquer leur propre spirale négative en ignorant la réalité de la valorisation des compétences par le marché du travail, derrière lequel elles se réfugient pourtant dans la construction de leur benchmark. L’implicite de la distorsion générée par la coexistence en parallèle de ces deux barèmes de rémunération est celui d’un message suggérant que, pour avoir une progression salariale, le changement d’entreprise est nécessaire, puisque le « risque » que représente le changement est valorisé par une progression salariale. Cette distorsion vient faire progresser le turnover dans un contexte sectoriel où il est déjà important sur les dernières années.

Quel est alors l’avenir d’un système de rémunération initialement pensé pour récompenser la progression (habileté à tenir son poste, progression dans les compétences détenues, et acquisition de nouvelles compétences) qui se transforme en une ligne budgétaire à maintenir ? Ce système peut devenir désincitatif et punitif puisque désormais coupé de la réalité des compétences recherchées par l’entreprise pour fonctionner. De plus, les dernières années ont été tournées vers la transformation des métiers du secteur. Celui-ci s’est tourné vers une progression des profils d’experts ou de spécialistes pour améliorer la satisfaction client et optimiser la démarche commerciale. Cela entraîne de fait une évolution des compétences que les salariés mettent au service de l’entreprise. Cette évolution doit en toute logique être accompagnée d’une progression salariale.

Les futures obligations issues de la transposition de la directive Salary Transparency pourraient-elles générer des discussions constructives ?

La transposition en droit français de la directive européenne Salary Transparency va permettre à de nombreux salariés ou candidats d’accéder en temps réel à une forme de benchmark des rémunérations. En effet, chaque annonce devra inclure le salaire du poste (ou à minima une fourchette). Ainsi, par l’observation des annonces des postes ouverts, chaque salarié pourra facilement ac- céder à une évaluation de son positionnement par rapport au marché. Est-ce alors la fin de la cohabitation de plusieurs référentiels de rémunération au sein des entreprises ou des groupes ?

L’obligation de diffusion (... sur de- mande des candidats) des éléments explicitant les critères de construction des rémunérations et la poli- tique de progression salariale appliquée, aura-t-elle une influence sur la manière dont les entreprises ont construit leur politique de rémunération jusqu’ici ? La transposition de cette directive nous paraît constituer une opportunité, pour les représentants du personnel, de se saisir du sujet, afin que plus de transparence mène à plus d’équité.

Partagez cet article !