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[Interview] Index égalité : premier bilan

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Qu’a produit l’index égalité depuis sa mise en place il y a trois ans ? Notre experte égalité professionnelle Catherine Guillon revient sur cet outil initialement conçu pour accélérer la résorption des écarts salariaux entre femmes et hommes.

c guillon

Quelle est la vocation de l’index égalité ?  

Catherine Guillon : L’index égalité a été mis en place pour obliger les entreprises à appliquer le principe « salaire égal à travail de valeur égale », inscrit dans la loi française depuis 1972. L’objectif du gouvernement était d’en « finir avec les écarts de salaires inexpliqués et faire progresser l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ».  

Selon les dernières données publiées par l’Insee en 2023, les femmes restent payées 17% de moins qu’un homme à temps de travail égal, alors même qu’elles réussissent mieux dans les études. Certes, l’écart diminue sur le long terme, mais au rythme actuel, il faudrait encore 140 ans pour qu’il ne soit plus que de 1% !

L’écart diminue, mais au rythme actuel, il faudrait encore 140 ans pour qu’il ne soit plus que de 1% !

Depuis sa mise en place, l’index égalité a-t-il contribué à réduire les écarts ?  

CG : La question est plutôt de savoir s’il a les moyens de le faire. Nous avons tiré un premier bilan de l’index. Le score moyen des entreprises françaises est passé de 84/100 à sa 1ère année de mise en place à 86/100 en 2022. Déjà élevé, l’index s’améliore donc à première vue.  

Ce chiffre est pourtant à prendre avec précaution. En effet, 36% des entreprises échappent aux obligations de l’index faute de pouvoir le calculer et seules 6% ont eu une note inférieure à 75, c’est-à-dire au seuil qui oblige à prendre des mesures de correction.  

Les entreprises françaises seraient-elles donc exemplaires ?

CG : On pourrait le croire, même s’il n’en est rien ! Ainsi, une entreprise peut avoir un bon score à l’index mais ne pas être bonne élève. C’est ce que montre cet exemple : malgré un excellent score de 97/100 en 2021, une entreprise du CAC40 paye ses salariées femmes 50% de moins que les hommes toutes catégories confondues, et 35% de moins dans la catégorie des cadres. En d’autres termes, tel qu’il est construit, l’index ne peut pas vraiment constituer une mesure des inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes dans l’entreprise, et contribuer à réduire les écarts.

Tel qu’il est construit, l’index ne peut pas vraiment contribuer à réduire les écarts

Quelles sont les limites de l’index ?

CG : Une première série de limites découle du paramétrage de l’index. Par exemple,  

  • les seuils pour constituer les catégories et les marges de tolérance peuvent conduire à écarter une grande partie de l’effectif, rendant invisibles les écarts réels ;
  • accorder 10 euros d’augmentation moyenne aux femmes alors que les hommes auraient une augmentation de 100 permet de remporter tous les points sur l’indicateur des augmentations (20/20). C’est étrange ;  
  • le seuil de 75 signifie qu’un écart de 25 points est admis entre la situation jugée idéale (100/100) et une situation nécessitant des mesures de correction (75/100). C’est beaucoup ;
  • son périmètre est limité aux rémunérations. L’index ne considère pas les autres facteurs d’inégalités entre les femmes et les hommes, telles que les discriminations à l’embauche, le plafond de verre ou le temps partiel… 

Un écart de 25 points est admis entre la situation jugée idéale  et une situation nécessitant des mesures de correction. C’est beaucoup

L’index est également peu contraignant : les sanctions sont rares (42 entreprises ont fait l’objet de pénalités par l’inspection du travail, sur 42 000 contrôlées). Ceci est à mettre en regard avec le nombre d’entreprises qui sont soumises à l’obligation légale de publier leur score et qui ne le font pas : ce sont 2 entreprises sur 8, soit environ 7 000 entreprises ! 

Enfin, et c’est là le véritable point d’alerte, l’index peut avoir un effet démobilisateur sur les partenaires sociaux, en donnant à penser qu’avec ces bonnes notes, aucun effort supplémentaire n’est nécessaire. L’effet « boite noire » de l’index n’encourage pas les débats, les IRP ont peu de prise sur cet outil à la construction complexe et discutable.

Et c’est là le véritable point d’alerte, l’index peut avoir un effet démobilisateur sur les partenaires sociaux

Quels conseils donneriez-vous aux représentants des salariés pour agir ?

CG : Notre premier conseil est de ne pas focaliser le dialogue social sur l’index égalité, sans pour autant s'en désintéresser. Il fait partie de l’arsenal pour lutter contre les inégalités hommes-femmes, mais ce n’est pas l’outil le plus efficace.  

Nos autres conseils : formez-vous, informez-vous, utilisez les consultations pour donner votre avis, porter vos revendications… et négociez !

Nos autres conseils : formez-vous, informez-vous, utilisez les consultations, porter vos revendications… et négociez !

Se former est essentiel pour comprendre les obligations de l’employeur, mais aussi les mécanismes des inégalités, qui les rendent si tenaces. (pour aller plus loin : voir notre formation "Maitriser l'égalité professionnelle et l'égalité de vie au travail")

Les IRP peuvent aussi se tenir informés via la BDESE, qui prévoit non seulement toute une batterie d’indicateurs et oblige l’employeur à expliciter sa stratégie d’action.

Pour agir concrètement contre les inégalités, les IRP peuvent se saisir de leurs prérogatives :  

  •  la consultation sur la politique sociale de l’entreprise permet au CSE de suivre les plans d’actions et de mesurer l’évolution de la situation des hommes et des femmes dans l’entreprise. Pensez à faire appel à votre expert pour cette consultation !
  •  la négociation obligatoire sur l’égalité professionnelle permet aux organisations syndicales d’agir sur toutes les causes d’inégalités. Dans les entreprises de plus de 300 salariés, la négociation peut être préparée à l’aide d’un expert habilité. Cette expertise dédiée à la négociation permet de poser un diagnostic approfondi, notamment sur les causes qui ont structuré et qui continuent de structurer les inégalités, de sorte à aider les organisations syndicales à négocier des mesures concrètes qui s’attaquent aux nœuds des inégalités, et un accord qui produise des effets réels.

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