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Dossier : Le Mag' #5 - Les Risques Psychosociaux

Le Mag n°5 - Comprendre les risques psychosociaux pour mieux les prévenir

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Le travail peut faire mal, très mal, au mental.
Longtemps ignorés, les risques psychosociaux sont aujourd’hui reconnus comme une source de souffrance dont les salarié·e·s doivent être protégé·e·s. Face au mal-être, les représentant·e·s du personnel ont un rôle à jouer. Pour cela, mieux prendre en compte le travail et son organisation dans la prévention est essentiel.

discussion entre deux salariés


Après une grave crise sociale marquée par le suicide de nombreux salariés entre 2006 et 2011, France Télécom est devenue le symbole de la souffrance au travail et des conséquences humaines potentiellement dramatiques de décisions stratégiques prises au plus haut niveau de l’entreprise. Le procès de l’entreprise et de ses ex-dirigeants, jugés pour harcèlement moral, s’est achevé le 12 juillet au terme de 42 jours d’audience. Il est inédit par sa durée, le nombre de victimes et le niveau de responsabilités des prévenus. Dans le jugement attendu le 20 décembre, l’entreprise et ses ex-dirigeants pourraient être condamnés pénalement pour harcèlement moral institutionnel, une première en France.

RECONNAISSANCE PROGRESSIVE

Depuis une dizaine d’années, la prise en compte de l’organisation du travail dans la compréhension et la prévention des situations de souffrance au travail progresse. À partir de 2009, les juges relient des situations de souffrance au travail aux méthodes de gestion relevant de décisions de l’employeur. L’Accord national interprofessionnel de 2010 sur le harcèlement et la violence au travail esquisse une reconnaissance des facteurs organisationnels. Enfin, le rapport sur le suivi statistique des risques psychosociaux remis en 2011 au ministre du Travail définit ces risques comme « les risques pour la santé mentale, physique et sociale, engendrés par les conditions d’emploi et les facteurs organisationnels et relationnels susceptibles d’interagir avec le fonctionnement mental ».

La reconnaissance du rôle déterminant de l’organisation dans le développement des risques psychosociaux est un enjeu essentiel pour la qualité de l’évaluation et l’efficacité de la prévention : il s’agit de passer d’une approche centrée sur l’individu, qui conduit inévitablement à rechercher des fautes ou des fragilités individuelles, à une approche plus globale s’intéressant aux causes organisationnelles et orientant vers des actions de prévention primaire, c’est-à-dire s’attaquant à la source du risque. Ces actions sont plus efficaces, car elles renforcent la protection collective.

QUE SONT LES RISQUES PSYCHOSOCIAUX ?

Les risques psychosociaux correspondent à des situations où sont présents, combinés ou non :

  • Le stress (lié au sentiment de ne pas atteindre les exigences ou les attentes demandées) ;
  • Les violences internes (conflits, harcèlement moral ou sexuel) ;
  • Les violences externes (insultes, menaces, agressions, exercées par des personnes extérieures à l’entreprise à l’encontre des salariés).

Au niveau individuel, ces risques peuvent entraîner une dégradation de la santé physique et mentale : épuisement professionnel, troubles musculosquelettiques, maladies cardiovasculaires, troubles de santé mentale (épisode dépressif, troubles anxieux, état de stress post-traumatique, tendances suicidaires) et maladies chroniques. Au niveau de l’entreprise, les risques psychosociaux se manifestent par différents signes : augmentation de l’absentéisme, accidents du travail, incidents, turn-over, baisse de la qualité ou de la productivité, dégradation du climat social…

INTERVIEW : CAROLE TAUDIÈRE, EXPERTE SSCT À SYNDEX «LA RÉCURRENCE DES RÉORGANISATIONS PERTURBE LES SALARIÉ·E·S »

Syndex - Quels liens peut-on faire entre réorganisations et risques psychosociaux ?
Les réorganisations du travail figurent parmi les situations les plus perturbantes pour les salarié·e·s : ils doivent s’adapter rapidement, souvent pour faire autant avec moins de moyens. Or, les réorganisations deviennent de plus en plus fréquentes et cela exerce une pression continuelle sur les effectifs pouvant les empêcher de mettre en place des stratégies d’adaptation. Et c’est là que les problèmes commencent, d’autant plus lorsque le changement est conduit de manière très descendante, sans associer les salarié.e.s. Dans ce cas, il est impossible de contrôler, d’influencer l’évolution du contenu et du cadre de son travail, ce qui expose à de multiples facteurs de risque : surcharge ou sous-charge, réduction de l’autonomie ou sur-responsabilisation, inadéquation des compétences au poste, perte de soutien, fragilisation de l’identité professionnelle, démotivation, perte du sens du travail... Avec à la clé des conséquences sur la santé et la sécurité.

Syndex - Quand déclencher une expertise risque grave ?
À travers les témoignages des salarié·e·s, la réalisation d’enquêtes ou d’inspections, les élus peuvent constater les situations de travail dégradées que vivent leurs collègues. Dès lors, une expertise risque grave peut être envisagée. Avant de la déclencher, un travail est mené avec l’expert pour discuter du risque, de son existence et de son actualité puis confirmer la nécessité de l’expertise. Au cours de la mission, l’expert analyse les risques et leurs causes. Son diagnostic et ses préconisations, partagés avec le CSE, permettent de construire une démarche de prévention des risques professionnels ou de la réorienter quand elle est défaillante.

DE MULTIPLES FACTEURS DE RISQUE

Les facteurs à l’origine des risques psychosociaux sont multiples et se combinent. Ils sont répartis en six catégories.
La première regroupe intensité, complexité et temps de travail. L’intensité et la complexité se caractérisent par des contraintes de rythme, une surcharge de travail, des délais impossibles à tenir, des objectifs inatteignables et une complexification du travail (nouvelles technologies, polyvalence, interruptions régulières, exigences contradictoires…). D’après les dernières enquêtes nationales de la Dares, le travail dans l’urgence toucherait ainsi une majorité de salariés, et plus particulièrement les femmes (68%). Les contraintes de temps de travail sont les horaires atypiques, un volume d’heures de travail élevé et l’extension de la disponibilité (soir, week-end...).

Les exigences émotionnelles forment la seconde catégorie de facteurs de risques. Cette notion évoque le coût pour la santé du travail émotionnel qui consiste à maîtriser, dissimuler et façonner ses propres émotions dans les interactions avec les clients, les patients,les usagers ou les collègues. Il implique de savoir prendre sur soi, rester calme et apaiser dans des situations de tension, de réprimer un sentiment de peur face au risque d’accident, de violences, ou d’échec et de maintenir sa posture professionnelle même dans la confrontation à la souffrance. En 2017, plus des deux tiers des salarié·e·s étaient en contact avec le public, une part croissante. Parmi eux, 8% déclarent « vivre en permanence ou régulièrement des situations de tensions avec le public ».

Le manque d’autonomie et de marges de manoeuvre constitue une troisième catégorie. Il s’agit d’un facteur déterminant dans le développement de risques psychosociaux qui se manifeste par l’incapacité à décider seul de la manière de réaliser ses tâches en raison de standards, consignes et procédures à suivre, l’impossibilité de faire varier les délais fixés, un manque de prévisibilité du travail, des tâches monotones et une sous-utilisation des compétences. D’après la Dares, près d’un quart des salarié·e·s ne peuvent ainsi pas choisir la façon d’atteindre les objectifs fixés.

Les mauvais rapports sociaux et relations de travail se traduisent par des tensions relationnelles, un défaut de solidarité et de soutien de la part des collègues, un manque d’attention, d’aide et de reconnaissance du travail réalisé par la hiérarchie, une vision peu claire des tâches à accomplir et un défaut de pilotage de l’activité et de gestion des difficultés.

Cinquième catégorie, les conflits de valeur et la qualité empêchée recouvrent le fait de devoir faire des choses que l’on désapprouve (par exemple une vente abusive), d’avoir le sentiment de faire un travail inutile, ou de ne pas avoir les moyens de faire un travail de qualité. Cela est reconnu comme un facteur de risque psychosocial important. 10% des salariés estiment devoir « faire toujours ou souvent des choses qu’ils désapprouvent ».

Les représentants du personnel au CSE peuvent apporter une contribution essentielle à l’évaluation et à la prévention des risques psychosociaux

Enfin, l’insécurité de la situation de travail joue un rôle dans le développement des risques psychosociaux. Cela inclut l’insécurité de l’emploi (peur de perdre son emploi,contrats précaires, insécurité économique), les changements non maîtrisés (par exemple un changement de métier sans y être préparé) et la soutenabilité du travail (se sentir capable ou non de faire le même travail jusqu’à la retraite).

LE CSE EST UN ACTEUR DE LA PRÉVENTION

L’évaluation et la prévention des risques psychosociaux comme des autres risques professionnels relèvent de la responsabilité de l’employeur, mais les représentants du personnel au CSE peuvent apporter une contribution essentielle en exerçant pleinement leurs prérogatives en matière de santé, sécurité et conditions de travail :

  • Parler avec les salarié·e·s des difficultés concrètes auxquelles ils ou elles font face au quotidien, notamment lors des inspections trimestrielles ;
  • Dans l’analyse des accidents et maladies professionnelles, ne pas s’en tenir aux faits les plus proches du dommage mais remonter le plus en amont possible et rechercher les facteurs de risque en cause ;
  • Doter le comité d’instruments d’alerte et de suivi : mise à jour régulière des risques psychosociaux dans le DUERP, indicateurs de suivi du programme annuel de prévention et indicateurs d’alerte (absentéisme, accidents…) ;
  • Proposer des actions de prévention privilégiant la prévention primaire, en particulier lors de la consultation annuelle sur la politique sociale ou ponctuellement à l’occasion de projets importants modifiant les conditions de travail ;

En cas de situation très dégradée, rassembler l’ensemble des informations disponibles, recueillir des témoignages de salarié·e·s et alerter l’employeur (en réunion, par courrier, voire en déclenchant une alerte pour danger grave et imminent).

La formation SSCT (obligatoire pour tous les membres élus du CSE) est indispensable pour maîtriser ces différents moyens d’action, identifier les risques professionnels présents dans l’entreprise, connaître les obligations de l’employeur, s’initier à l’analyse des risques et savoir mobiliser les différents acteurs de la prévention.

Dans certains cas, le recours à des acteurs externes peut être nécessaire pour soutenir et prolonger l’action des représentant·e·s du personnel : selon les sujets abordés en réunion, la présence du médecin ou de l’inspecteur du travail peut s’avérer très utile. À l’occasion de projets importants ou de situations très dégradées (conflits, plaintes de salariés, accidents, suicides ou tentatives de suicides), le recours à un expert permet d’obtenir un diagnostic mettant l’accent sur les facteurs organisationnels et proposant des actions de prévention.

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